L’amitié entre femmes, l’antidote au chaos.

Et si l’on remettait au centre de nos vies, nos amitiés féminines ? Et si ces amitiés, longtemps perçues comme superficielles, s’avéraient être salutaires et émancipatrices de tout un tas de normes ankylosantes ? Pour cet article, je suis partie à la rencontre de Céline et Claire, créatrices de contenus et podcastrices, qui ont choisi de se consacrer à la puissance des liens entre femmes. 

Céline vit aux Pays-Bas et est chercheuse et enseignante en littérature française à l’Université. Claire habite en Allemagne et travaille dans le monde de l’édition. Toutes deux vivent une amitié à distance et apprennent à soigner cette relation à laquelle elles tiennent. Au fil de leurs conversations et réflexions, les deux amies blaguent en imaginant un podcast sur l’amitié tant il y a à dire… Et c’est ainsi que prend racine “Les Copines d’Abord”, un podcast qui met en lumière l’amitié féminine, ses complexités et ses trésors. 56 épisodes sont d’ores et déjà disponibles, de quoi potasser le sujet ! “Nous voulions remettre  l’amitié au centre de nos vies, de nos luttes et pouvoir donner plus de place à ce sujet en montrant que c’est bien plus complexe que ce que l’on peut voir dans tout un tas de médias.” raconte Céline. 

Il me semblait important d’explorer ce sujet en ces temps où l’on remet en question les modèles de relations qui nous entourent, où la sororité fait de plus en plus front face au sexisme et aux violences faites aux femmes. Et puis, moi-même j’ai pu nourrir ce cliché de “les filles sont hypocrites, mesquines entre elles et papotent que de choses superficielles” en rejetant ce côté “girly” (zavez-vu cette pick-me ?!). J’ai grandi avec une bande de potes mecs, j’étais “la fille de la bande” et je faisais tout ce que je pouvais pour ne pas entrer dans ces cases qu’ils critiquaient, eux-mêmes biberonnés à ces idées préconçues, sexistes et misogynes.

Pourquoi tant de différences entre les amitiés féminines et masculines ? Est-ce que le patriarcat y est ENCORE pour quelque chose ? (Spoiler alert : la réponse est oui.) 

Johanna Cincinatis Abramowicz, journaliste et auteure de “Elles vécurent heureuses. L’amitié entre femmes comme idéal de vie”, met en avant les propos du psychologue américain Geoffrey Greif qui avance que “Les hommes font l’amitié bras dessus, bras dessous ; les femmes font l’amitié les yeux dans les yeux« . Cela paraît cliché mais c’est ce qui se passe généralement : les hommes pratiqueraient l’amitié, au travers d’activités communes (ou entre deux verres de bières) alors que les femmes, elles, vont prendre le temps de s’écouter, de discuter, d’échanger (tout en faisant la fête aussi, évidemment). 

Claire est du même avis : “On a un rapport à l’intimité, entre femmes, qui est très différent des amitiés mixtes ou masculines. Par rapport à notre corps, au partage d’informations, de doutes et d’émotions. Et c’est cela qui rapproche, qui peut énormément souder.” 

On le sait, les femmes sont très souvent associées au “soin” de l’autre (et bien souvent, des hommes). Choisir de soigner nos amitiés féminines, c’est participer à “la redistribution du soin” suggère Céline

Moi aussi, en grandissant (et en accumulant les déboires amoureux), j’ai appris à redistribuer ce soin. Aujourd’hui, je suis plus entourée de femmes que d’hommes et je perçois ces amitiés comme une troisième voie. Pourquoi devrait-on forcément choisir entre “être la célibataire à chats” ou “le couple, la maison, l’enfant et le toutou” ? Ne pourrait-on pas considérer nos amies comme des liens tout aussi importants avec lesquels il serait possible de créer davantage ?

Claire fait le même constat : “On aimerait que cette autre voie soit plus envisageable et acceptée. Nous, on estime que les relations amicales peuvent être tout autant fullfilling qu’une relation amoureuse. Il n’y a aucune volonté de remplacer un quelconque modèle de relation par un autre… MAIS on tente, à notre petite échelle, de désamorcer cette hiérarchie qu’il y a entre le couple et les amitiés. Pourquoi la colocation serait réservée à un âge spécifique ? Pourquoi ne pourrait-on pas se mettre en ménage avec un.e ami.e ? Pourquoi les fêtes de Noël seraient réservées seulement aux familles et aux couples ?” 

Il y a cette tendance à placer les relations amicales sur un plan secondaire. Ce serait moins important, moins engageant. Certaines délaissent même leurs amies une fois en couple, comme si cela allait de soi. Comme si c’était la suite logique des choses. La société, les médias et la pop culture propagent également ces idées : les femmes se réunissent, déversent leurs émotions, sont parfois rivales, et n’ont au cœur de leurs conversations qu’une chose : trouver l’élu de leur cœur et fonder une famille. Et si l’on décidait de choisir ses amies comme sa propre famille ? 

Selon Claire, le cliché qui revient régulièrement, c’est que nous, les femmes, on papote beaucoup et surtout, de choses superficielles. Mais spoiler alert… dans mes amitiés féminines, cela ne reste JAMAIS superficiel. Leur force, c’est que l’on peut parler de sujets très naïfs et futiles ET de sujets profonds et existentiels.” “C’est drôle car un autre cliché s’y oppose.” ajoute Céline. “Celui que les femmes sont “incapables d’avoir une relation simple”. Donc, d’un côté, nous papotons pour un rien et sommes puériles… et d’un autre, on pose trop de questions, on se prend la tête.” Que de paradoxes ! 

Au fond, ce ne sont que des images ancrées et propagées régulièrement, et ce, même par la gente masculine. Remettons l’église au milieu du village, les barres sur les T et les points sur les I : nous ne cherchons pas la petite bête, nous abordons des questions profondes et importantes pour avoir de meilleures relations et pour s’enrichir mutuellement de nos conversations. Nous ne discutons pas de choses superficielles, nous nous vidons la tête et lâchons prise car nous nous sentons suffisamment en sécurité avec nos amies pour le faire

Se réapproprier ces propos médisants qui caricaturent et en faire un “non-sujet”, c’est d’une force incommensurable. Faire le choix de se soutenir et faire bloc aux préjugés, aux idées construites et factices : c’est ça la puissance des amitiés féminines. 

On le voit bien avec l’alliance Taylor Swit/Sabrina Carpenter/Olivia Rodrigo. Dans l’industrie musicale, on a tendance à mettre des artistes féminines en rivalité. En se soutenant et en explorant leurs multiples facettes, elles montrent que l’amitié, c’est plus fort que les rivalités et les critiques. Que l’on peut célébrer le succès de ses amies et que cela ne nous enlèvera – personnellement – rien de le faire” explique Claire

Cette question de se réapproprier les reproches que l’on fait aux femmes, aux amitiés féminines, s’est posée lorsque nous avons dû choisir le nom de notre podcast. “Les copines d’abord” dans l’inconscient collectif, cela fait un peu “paillettes et potins”. Mais en fait, on s’en fiche. C’est hyper intéressant de jouer sur cet écart. Bizarrement, pour la chanson “les copains d’abord”, personne ne s’est jamais dit “oh, c’est superficiel”, “trop viril”… Et oh, surprise, la question se pose dès lors qu’on le transpose au féminin” relève Céline

Endosser ces critiques et en faire une force plutôt qu’une kryptonite, c’est se reconnaître dans l’autre car… “Tu es comme moi”, “je suis comme toi”. (Oui, j’ai osé). 

Tout bien considéré, mettre l’amitié au premier plan ne serait-il pas un acte politique ? Un acte de résistance face aux violences qui nous oppriment, aux discours dédaigneux ? 

Pour Claire et Céline, c’en est un, sans aucun doute :  “Donner du temps à ses amitiés, c’est ne pas en donner à d’autres éléments de la vie. L’amitié, cela ne produit pas de richesses. C’est presque anticapitaliste. C’est aussi un espace d’apprentissage, où l’on peut se rendre compte de nos problématiques individuelles et sociétales”. Espace d’apprentissage mais aussi, espace de sécurité. Céline le précise “avoir des ami.e.s, c’est aussi avoir quelqu’un qui va avoir un oeil sur ce qui t’arrive au quotidien et qui va, peut-être, te sauver d’éventuelles violences”.

En démontrant l’importance nos amitiés féminines, nous pouvons nourrir l’espoir de bousculer les masculinités et de montrer aux hommes, selon Claire, “qu’ils peuvent avoir d’autres types de relations avec des femmes, autres que le sexe, la reproduction, le mariage” ou la bromification (oui, j’ai inventé le mot. Comprendre : dépourvoir une femme de tous ses attributs féminins et la masculiniser inconsciemment histoire de pouvoir réellement créer une amitié avec). Les hommes auraient beaucoup à apprendre de nos liens avec nos amies : nous aussi, on boit des bières et on rigole. Mais on ouvre nos coeurs plutôt que de rester des cailloux imbibés. 


En ce sens, l’amitié ne serait-elle pas le remède ? L’antidote à tous nos maux ? Claire et Céline questionnent tous les sujets possibles sous le prisme de l’amitié afin de permettre l’éveil et une convergence de luttes. Céline soutient que “si l’on remet l’amour en avant, cela pourrait être un moteur dans nos luttes et permettre une dépolarisation des problématiques afin de se dire “en fait, on veut toustes la même chose.Avoir des amies se révèle être un acte politique : c’est créer un lieu à nous, où l’on peut s’élever les unes et les autres. Alice Raybaud, autrice de “Nos puissantes amitiés” écrit : “Nous nous sommes ensemble éveillé•es au féminisme, et cela n’y est certainement pas étranger. Au contact les un•es des autres, nous affûtons nos pensées politiques comme intimes.

Pour moi, ça a un côté très émancipateur d’être amie avec des femmes en particulier. Parce que c’est à mi-chemin entre le fun et la psychologie. On se retrouve au milieu et on fait un pont entre les deux. Et sur ce pont, on ne fait que se rejoindre et s’aimer comme nous sommes. Les mots d’Alice Raybaud résonnent : “Au contraire de la métaphore amoureuse de la « moitié », qui sous-entend un manque, nos diverses amitiés permettent bien souvent de consolider l’idée que nous n’avons pas besoin d’être complétées : nous sommes déjà entières, et nos ami•es nous aiment pour cela”. Et ça, c’est beau.  

Que dire aux femmes qui n’arrivent pas à maintenir ou à tisser des amitiés dans leur vie ? 

Pour Claire et Céline, la chose la plus importante reste de communiquer sur nos capacités et incapacités, trouver un terrain d’entente, un équilibre, se détacher des représentations néfastes sur l’amitié féminine et accepter les formes que peut prendre une amitié au fil du temps. Pour elles, “les solutions ne viennent pas des personnes qui ont été désabusées et déçues. Elles devraient éclore des personnes qui produisent du contenu sur l’amitié afin de montrer d’autres expériences, d’autres modèles” et ainsi, insuffler l’envie de (re)créer du lien. Mission accomplie, les girls ! 

Leurs épisodes préférés de leur propre podcast : 

Leurs recommandations pour poursuivre sur le sujet : 

  • La série Derry Girls
  • La série Las de la última fila 
  • Le podcast Le Coeur Sur La Table (et sa série “les amisoeurs”)

Petits plus : 

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