Chaque matin, c’est la même rengaine. Je me lève, je bois mon café, puis je file à la salle de bain me maquiller. Fond de teint, anticernes, mascara… Avec le temps, ces gestes sont devenus un automatisme. Une habitude de prime abord anodine, et pourtant, il y a là-dedans quelque chose qui me chiffonne.
Car il faut bien l’admettre : si la plupart d’entre nous nous maquillons, quitte à nous lever plus tôt et à perdre de précieuses minutes de sommeil, ce n’est pas véritablement par envie, mais bien pour répondre aux standards de beauté véhiculés par une société patriarcale, cherchant par tous les moyens à contrôler les corps des femmes. Sans parler de l’investissement en temps et en argent que cela peut représenter pour elles, soit autant de temps et d’argent qu’elles ne pourront dès lors consacrer à d’autres projets – leur carrière, par exemple.
Est-ce que, pour autant, me maquiller fait de moi une « mauvaise féministe » ?
Ce n’est pas l’avis de la journaliste et activiste Anna Toumazoff. Interrogée à ce propos par le magazine « Femme actuelle », elle rappelle ainsi que le féminisme n’a pas vocation à opprimer, mais à permettre aux femmes de « se libérer de ce qui les contraint ». Autrement dit : « Le féminisme, c’est la liberté de pouvoir tout faire, utiliser les codes de l’hyperféminité comme sortir sans aucun maquillage ».
Par ailleurs, il est à noter que la manière qu’ont les femmes de considérer le maquillage a beaucoup évolué au cours de ces dernières décennies. En effet, si jusque dans les années 60, il s’agissait avant tout de se maquiller pour se conformer aux attentes de la société, depuis les années 70-80, on assiste à un mouvement de réappropriation de cette pratique de la part des femmes, beaucoup y voyant désormais un moyen d’expression et d’affirmation de soi.
La journaliste et autrice Valentine Pétry en fait état dans son livre « Make up – Le maquillage mis à nu », et parle à ce sujet d’une période « charnière », qualifiée par les chercheuses de « période de négociation ». C’est-à-dire que nombre de femmes, bien que conscientes de la dimension patriarcale du maquillage, choisissent néanmoins de continuer d’en utiliser, non pour plaire, mais pour exprimer leur identité, prendre confiance en elle… ou tout simplement éviter d’être victimes de discrimination.
Effectivement, plusieurs études ont démontré que les femmes maquillées étaient en moyenne mieux rémunérées que les autres, souvent jugées négligées ou peu fiables dans le monde professionnel. Pour décrocher un job ou une promotion, certaines se résolvent donc à utiliser fards à paupières et rouges à lèvres, mais à leur avantage, et en toute connaissance de cause.
Trop ou pas assez maquillée : le patriarcat et ses injonctions contradictoires
Si l’absence de maquillage est parfois mal considérée, les femmes dites trop maquillées sont, elles aussi, la cible de nombreuses critiques. « Pot de peinture », « voiture volée », « belle arnaque »… À la moindre incartade, celles-ci sont aussitôt rappelées à l’ordre, au nom du bon goût, de la morale et de la « beauté au naturel ».
Un lointain souvenir d’une tradition héritée de l’Antiquité, qui se manifestait, à l’époque, tantôt par des moqueries, tournant en dérision la futilité et la superficialité de ces artifices, tantôt par des discours moralisateurs, comparant le maquillage à un masque destiné à tromper la vigilance des hommes. Avec, à son apogée, le théologien Tertullien, recommandant aux jeunes filles de « peindre leurs yeux d’une humble modestie » et de « colorer leurs lèvres de silence ». Un conseil misogyne au possible, qui ne diffère sur le fond qu’assez peu de ce qu’on peut entendre aujourd’hui de la part de groupes masculinistes, réduisant les femmes à leur apparence pour les empêcher de se faire entendre.
Au fond, qu’importe qu’on soit maquillée ou non. Aujourd’hui comme hier, c’est toujours la même histoire : nous sommes soit trop, soit pas assez, et cette histoire de maquillage n’en est qu’un exemple parmi d’autres.
Alors face aux injonctions et aux stéréotypes, la meilleure solution ne serait-elle pas, finalement, de faire ce qui nous chante ?
Sources :
Thibaud, C., Pause Simone. Peut-on se maquiller quand on est féministe ? Femme actuelle, 7 avril 2023 : https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/pause-simone-peut-on-se-maquiller-quand-on-est-feministe-2153205
Pétry, V. Make-up. Le maquillage mis à nu. Les Peregrines, Paris, 2023.
Olson, K., Cosmetics in Roman Antiquity : Substance, Remedy, Poison, CW 102, 2009, p. 291-310.
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