L’autre jour, je regardais un film qu’on pourrait qualifier de comédie romantique. Et même si je l’avais déjà remarqué auparavant, j’ai été frappée par le surréalisme du sexe dans ce film. Comment, en 2022, y a-t-il encore des scènes de sexe qui ne collent absolument pas à la réalité? Comment peut-on promouvoir un idéal et des stéréotypes sexuels qui donnent une image de la sexualité totalement faussée et créent des complexes? Et qu’en est-il de la représentation et de la représentativité des femmes à l’écran?
Plus de femmes à l’écran!
Pour qu’il y ait une scène de sexe à l’écran de nos jours, il faut un homme et une femme. Et sur les deux dernières décennies, on peut dire que la représentativité de la femme au cinéma s’améliore. En effet, des chercheurs du Centre Marc-Bloch à Berlin ont développé un algorithme qui permet d’analyser les visages d’un film et de quantifier le nombre de visages féminins. Ils ont mené l’étude sur 3770 films parus entre 1985 et 2019. Sur cette période, seulement 34% des visages sont féminins. Cependant, ils ont pu observer des différences: le pourcentage de visages féminins augmente avec le temps. Il y avait 25% de femmes dans les films de 1995 à 1998 contre 45% de 2014 à 2019. Et cerise sur le gâteau: de 2014 à 2019, on peut compter près de 10% de films qui comptent plus de 60% de femmes à l’écran.
D’accord, les femmes sont de plus en plus représentées à l’écran mais qu’en est-il du rôle qu’elles y jouent? La femme est-elle un personnage à part entière ou bien est-elle un personnage secondaire représenté comme objet aux mains des hommes? Dans les années 80, Alison Bechdel dessine la mise en pratique d’un test, appelé aujourd’hui le test Bechdel, dans une de ses BD. Ce dernier permet de montrer la sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre mais aussi de vérifier que le rôle de ces personnages n’est pas uniquement de mettre en avant le personnage masculin.
Le test est composé de trois critères:
- 1. il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre,
- 2. qui parlent ensemble et
- 3. qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.
Si le film ou la série répond à ces trois critères, le test est réussi. Et si on y pensait la prochaine fois qu’on va voir un film ou qu’on regarde une série?
Le sexe au cinéma: hétéronormé
On arrive dans le vif du sujet: le sexe à l’écran. Et accroche-toi bien! La représentation du sexe au cinéma ou à la télévision est complètement irréaliste à mes yeux. La majorité des scènes de sexe consiste en un rapport entre un homme et une femme, une pénétration (entre vous et moi, on sait que ce n’est pas le moyen le plus efficace de stimuler le clitoris) puis d’office, un orgasme masculin voire simultanément un orgasme féminin d’une intensité inégalée (mais s’il n’y a pas d’orgasme féminin, c’est pas grave apparemment).
D’ailleurs, avez-vous remarqué que la plupart des films ou séries passent presque systématiquement sous silence les préliminaires? Une étude de 50 films combinée à une enquête sur plus de 2.000 anglais montre que 27% des scènes de sexe font mention de préliminaires. Alors que 69% des anglais disent avoir recours aux préliminaires presque à chaque fois qu’ils ont des rapports sexuels.
C’est encore plus inquiétant quand on parle d’orgasmes féminins. Cette même étude explique qu’à l’écran, près de 40% des scènes de sexe montrent un orgasme féminin. Dans la réalité, seulement 19% des femmes disent avoir un orgasme à chaque fois qu’elles ont un rapport. Sauf que, 24% d’entre elles déclarent n’avoir jamais eu d’orgasme pendant un rapport. Cette mauvaise surreprésentation de l’orgasme féminin, dépeint comme facile, presque systématique et exceptionnel, peut engendrer beaucoup de complexes, autant chez les hommes que chez les femmes. L’orgasme féminin est également montré comme simultané à l’orgasme masculin, comme si l’orgasme masculin était un déclencheur, un prérequis de l’orgasme féminin.
Male gaze VS female gaze
Gaze est un terme qui décrit la façon dont les téléspectateurs interagissent avec les médias visuels. Le concept du male gaze a été introduit par la chercheuse et cinéaste Laura Mulvey en 1975. À travers le male gaze, la femme est positionnée comme un « objet » du désir masculin hétérosexuel. Ses sentiments, ses pensées et ses propres pulsions sexuelles sont moins importants que le fait qu’elle soit vue à travers les lunettes du désir masculin.
Entre en jeu le female gaze. La journaliste Karolina Wilde prend un exemple plutôt frappant: le personnage de Harley Quinn. Dans les bandes dessinées, le personnage porte des costumes amples inspirés des clowns, qui ne montrent presque pas de peau. Dans Suicide Squad (2016), film produit et réalisé par des hommes, Harley est presque dénudée et est clairement habillée pour plaire aux hommes. Par contre, dans Birds of Prey (2020), réalisé et produit par trois femmes et un homme, elle porte des pantalons et des vêtements plus adaptés au personnage qu’au désir sexuel masculin. Mais peut-on vraiment dire que le male gaze s’oppose au female gaze? Janice Loreck, enseignante à la School of Media, Film and Journalism de la Monash University, explique que non. « Le male gaze crée un déséquilibre de pouvoir. Il soutient un statu quo patriarcal, perpétuant l’objectivation sexuelle réelle des femmes. Pour cette raison, le regard féminin ne peut pas être « comme » le regard masculin. » Le female gaze ne cherche pas à objectiver sexuellement les hommes, comme le male gaze peut le faire avec les femmes.
LIRE AUSSI: Le regard féminin. Une révolution à l’écran de Iris Brey
Des femmes à la réalisation!
Un site dédié au test de Bechel recense les films qui remplissent un, deux ou les trois critères du test. De 1874, le plus vieux film recensé sur le site, à 2021, c’est vraiment à partir des années 80 que plus de 50% des films répondent aux trois critères du test, c’est pour dire. Sur les cinq dernières années, plus de 65% des films réussissent entièrement le test. On revient de loin, mais ça ne veut pas dire qu’il faut s’arrêter là. Pour ça, faisons confiance et soutenons les réalisatrices et productrices de films qui cherchent aujourd’hui à supprimer l’objectification et sexualisation continue de la femme.
Et n’oublions pas que ce qui est représenté à l’écran n’est pas toujours réaliste, loin de là. Ce n’est pas parce que ça a été généralisé au fil des ans à l’écran qu’il faut culpabiliser de ne pas rentrer dans cette norme hétérosexuelle et patriarcale, au contraire. Et puis ce qui compte, c’est que tu te fasses plaisir, non?
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