UNE GROSSESSE EXTRA UTÉRINE ET UN CHANGEMENT DE VIE

Je connais Alice* depuis longtemps, c’est mon amie. Et pourtant, je ne savais rien de son histoire. « Je voudrais te raconter quelque chose pour Nicole, c’est à propos de moi ». Deux heures de discussion, et je suis sans voix. Sa positivité, sa force, et les leçons qu’elle a tirées de cette mauvaise expérience. « Je ne me vois pas comme quelqu’un de fort, je n’ai pas eu le choix ».

Alice a changé de vie après une grossesse extra-utérine et des complications. Un traumatisme pour son corps et son intimité, mais un pas en avant dans son développement personnel. C’est comme ça qu’elle a décidé d’apprivoiser son histoire.

Lors d’une grossesse extra utérine, l’ovule fécondé se développe en dehors de l’utérus. Si elle est diagnostiquée trop tard, elle peut avoir des conséquences très graves. Aujourd’hui encore, les grossesses extra-utérines sont la première cause de mortalité féminine durant le premier trimestre de grossesse. Le port d’un stérilet est un facteur favorable pour une grossesse extra-utérine.

Ce « détail », Alice n’en avait jamais entendu parler. 

* Les noms utilisés sont des noms d’emprunt.


Une grossesse sous stérilet

« C’était pendant ma période d’examens, j’étais en dernière année. Cette nuit-là, ça ressemblait à un crise de panique, j’y étais habituée. J’avais des pointes au coeur. Je pensais que je faisais une crise cardiaque. J’ai laissé passer la journée, mais ça n’allait pas mieux. J’avais des lancements dans le bras droit et toujours ces pointes au coeur. Mes parents m’ont emmenée aux urgences. J’ai passé plusieurs examens: électrocardiogramme, prise de sang. Tout allait bien. L’infirmière m’a demandé si je prenais un moyen de contraception. Je lui ai dit que j’étais sous stérilet. Elle me parle de mon taux de « je ne sais quoi », j’étais encore dans le gaz. Puis je suis réveillée brutalement quand j’entends: « vous êtes enceinte ». 

Ma réaction me semble encore floue. Je me vois lui dire « vous réglez le problème, vous m’enlevez ça » Je n’ai pas crié, je n’ai pas pleuré. Ma maman était présente pour moi et rassurante, elle m’a dit: « on fera ce qu’il faut, ce que tu souhaites », elle savait que ce n’était pas une annonce positive pour moi. Le médecin m’explique que je suis enceinte de quatre semaines, que l’embryon appuie au niveau de l’estomac, que ça remonte vers le coeur et que cela provoque des palpitations qui sont augmentées par le stress. En fait, ce n’était pas ça du tout.

J’étais sous stérilet depuis plusieurs années, ce qui me provoquait parfois des pertes de sang et parfois pas, ce n’était pas régulier. Quand l’infirmière m’a annoncé la grossesse, je n’ai même pas pensé au stérilet, j’étais sonnée. Le médecin m’a dit de rentrer chez moi. » 

« Je suis enceinte, il y a un problème » 

« Je suis rentrée, j’ai écrit à mon copain pour lui expliquer. Nous étions ensemble depuis sept mois, j’avais 23 ans. Dans la voiture, sur le chemin du retour, j’ai réalisé ce qu’il était en train de m’arriver. Ma mère m’a dit que nous appellerions le gynécologue le lendemain, si je souhaitais avorter, qu’elle serait là pour moi. Je n’ai jamais voulu d’enfants, mais à ce moment précis, la pensée de le garder m’a traversé l’esprit pendant quelques minutes. « Il est là », ça vaut la peine d’y réflechir. Mais aussitôt mon souffle repris, cette pensée a disparu. 

Une fois rentrée chez moi, ça n’allait pas mieux. Je me sentais de moins en moins bien. Les douleurs s’accentuaient. C’était horrible. On croyait à une indigestion, je prenais donc des cachets mais ça ne me soulageait pas du tout. Mes parents ont décidé de me ramener chez le médecin. Il m’a fait passer un test d’urine, et là, verdict: je dois retourner aux urgences directement, quelque chose ne va pas. J’ai été prise en charge directement, mon copain m’a rejoint. On m’a fait plusieurs examens gynécologiques. Le premier examen n’est pas très positif: les médecins voient énormément de sang dans mon utérus. Tout est très flou dans mes souvenirs… Je sais que tout à coup, l’anesthésiste est venu, qu’il fallait opérer d’urgence car je faisais une hémorragie interne. Je prends une douche d’iso-bétadine, on m’emmène au bloc. Les médecins disent à mes parents qu’ils ne savent pas si je vais survivre et qu’ils ne garantissent pas que mon appareil reproducteur en ressortira intact. Ils n’en savent pas plus: je suis enceinte, il y a du sang, il y a un problème, c’est tout ce qu’on sait. » 

Une grossesse extra utérine

« L’opération a duré deux heures, tout s’est bien passé. J’ai perdu deux litres et demi de sang durant l’hémorragie. Le chirurgien m’annonce que j’ai fait une grossesse extra utérine, et que l’embryon s’est accroché sur une trompe car le stérilet l’empêchait de se former correctement. Ma trompe a donc été atrophiée, c’est ce qui provoquait l’hémorragie. Ils m’ont enlevé cette trompe, ce qui n’est pas très grave. Le foetus n’était pas dans mon utérus et n’aurait donc pas pu se développer. Les deux minutes de réflexion dans la voiture étaient donc vaines de toute façon, il n’était pas viable. D’une certaine façon le destin a bien fait les choses. 

Le retour à la maison a été un peu compliqué: soins à domicile, changement des pansements et beaucoup de repos. Je n’ai pas pu passer mes examens. Je ne le savais pas, mais cet évènement allait complètement changer ma vie… » 

Changement de vie

« La situation avec l’école a été très compliquée. La direction a refusé de reporter ma session d’examen, même si j’avais un certificat médical. Mes parents se sont battus pour que je ne doive pas recommencer mon année, mais en vain. J’ai donc accepté et en septembre, je repars pour ma dernière année. Sauf que la situation s’est dégradée. Ma relation avec les profs était compliquée, comme si ils me faisaient payer le fait d’avoir doublé. Je n’étais pas vraiment intégrée au groupe classe car je n’avais pas tous les cours avec eux, bref, c’était très démotivant. Je suis rentrée dans une période de remise en question. Finalement, est-ce que j’aime vraiment ça? Est-ce que je veux faire ça de ma vie? 

Au mois de novembre, j’ai dit que je voulais arrêter mais mes parents ont refusé. J’ai pris sur moi encore quelques mois. Entre-temps, j’ai découvert d’autres domaines, d’autres formations qui me plaisaient énormément. En février, ma décision était prise: j’arrête mes études, j’entame une formation dans un autre domaine, qui me fait vibrer cette fois. Et cela, même sans l’approbation totale de mes parents: mon papa était un peu réticent… C’était une décision difficile à prendre car il ne me restait que six mois pour avoir mon diplôme, mais avec du recul, c’était la meilleure décision de ma vie. » 

Se réapproprier son corps

« Pour ce qui est de ma relation avec mon copain, cet évènement a signé le début de la fin. Il a été parfait durant mon séjour à l’hôpital, c’est l’ »après » qui a été compliqué. Retrouver une vie sexuelle était presque impossible pour moi: j’étais marquée par la peur. Dans mes pensées, c’était le sexe qui m’avait fait autant de mal, c’était le coupable, la cause d’un moment de souffrance très violente, qui m’a presque coûté la vie. Est-ce que cela en valait la peine? Difficile de se laisser aller durant les relations, quand mon stérilet m’a fait défaut une première fois. J’associais ça à du négatif. Et la communication avec mon copain était presque inexistante, mis à part les banalités, on n’a jamais vraiment parlé de l’accident, des conséquences et des traumatismes que cela a engendré sur mon corps, ma tête et ma sexualité.

J’avais décidé avant l’opération et les complications que je voulais avorter seule. Dans mon esprit, cette décision ne lui appartenait pas. C’est mon corps. C’est peut-être égoïste… Tout est allé très vite, et le sujet n’est jamais revenu sur la table. C’est bizarre, quand j’y repense. Je ne dis pas que c’était tabou, c’était juste inexistant et je n’avais aucune idée de la façon dont il gérait ses émotions par rapport à tout ça. 

En plus de la partie psychologique, mon corps a gardé des séquelles de l’opération comme de la sécheresse vaginale, chose à laquelle je n’avais jamais été confrontée. C’est tout un travail de se réapproprier son corps, sa sexualité, après cet évènement assez violent pour moi. Et c’était dur de faire ce travail à deux, nous étions jeunes. La relation s’est dégradée, notre vie sexuelle n’était pas épanouie, il y avait beaucoup de jalousie, je n’étais pas en confiance, jusqu’à la rupture. J’avais besoin de temps pour me remettre de cet accident, physiquement et psychologiquement, et pour redonner un sens à ma vie. Ça avait tout chamboulé pour moi. Cet évènement avait remis en question toute ma vie. Penser que j’ai failli y rester, ça remet les choses en place. » 

Conséquences à long terme

« Aujourd’hui, quatre ans après, ça fait partie de moi, de mon histoire, et ça a construit la personne que je suis aujourd’hui. Il y a eu du négatif, mais j’ai décidé d’en retirer le positif. Une rupture, un traumatisme pour le corps, un chamboulement dans mon intimité, et un choc psychologique, oui, mais surtout une remise en question et une autre façon de voir la vie. Comme un éveil psychologique. J’arrive à en parler avec un certain détachement maintenant, sans trop impliquer mes émotions.

Mes souvenirs restent très abstraits, je me vois au-dessus de mon corps à l’hôpital. Il y a des peurs qui restent: des douleurs au ventre m’angoissent très vite par exemple. Certaines conséquences sont encore présentes, comme ma sexualité, que je continue de reconstruire au quotidien. J’avais mis cette partie de ma vie dans un tiroir fermé à clé. Et puis j’ai rencontré mon compagnon actuel et tout m’est revenu en pleine face. Je me suis rendu compte que je devais encore gérer des conséquences de l’opération d’il y a quatre ans et certaines cicatrices psychologiques. J’ai réussi à en parler avec lui pour la première fois. J’ai eu peur qu’il parte, qu’il prenne peur. Mais il a super bien réagi. Je suis toujours angoissée lors de nos rapports, j’apprends à lâcher prise, mais ce n’est pas simple, je sors souvent du moment car j’ai peur. Peur que ça arrive encore.

Tomber enceinte… La honte?

J’ai ressenti beaucoup de honte par rapport à tout ça. J’ai attendu un long moment avant de faire l’amour avec mon nouveau compagnon, car je sentais que je devais lui dire mais je n’osais pas. Beaucoup de personnes de mon entourage ne sont même pas au courant, car j’ai peur des réactions. « Tomber enceinte avec les moyens de contraception aujourd’hui… » je pouvais déjà entendre ce genre de commentaires. Avec le temps, j’accepte mon histoire, je n’ai pas de colère: ni sur mon gynécologue, ni le médecin qui s’est trompé sur le diagnostic. J’ai accepté cet accident. J’ai accepté le fait que cela pouvait arriver sous stérilet. Je déplore juste le manque d’information et de contrôle autour de ça. On sait que ça peut arriver. Et que ça peut mal finir. 

Je commence à en parler autour de moi. Ça me fait du bien, et on me dit que je suis forte d’avoir vécu ça. C’est fou car je n’ai jamais pensé ça de moi. Je n’ai pas eu le choix. Et puis j’ai eu honte de ça, et ensuite j’ai ressenti un grand soulagement quand j’ai changé d’études. Aujourd’hui j’en ai tiré des leçons, et j’ai décidé de partager cette histoire. » 


« Je ne me vois pas comme quelqu’un de fort ». C’est comme ça que Alice termine son histoire. Et pourtant, si il y a une chose que je retire de cet échange, c’est la force et la positivité qu’elle en ressort. « On a tous des évènements moins chouettes dans nos vies, il faut apprendre à vivre avec ».

En France, la grossesse extra utérine touche plus de 15.000 femmes par an, c’est 2% des grossesses. Cela sans parler des séquelles psychologiques et physiques. Avec le témoignage d’Alice, c’est une parole qui se libère, une histoire qui se partage comme pour fermer un chapitre et aller de l’avant au travers d’un échange riche en émotions.

Merci Alice <3 ..

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