RENCONTRE: « JE NE SAVAIS PAS QUE MON CORPS S’ÉTAIT FERMÉ »

Manon* m’a contactée pour me raconter son histoire. J’aimerais te faire part de mon témoignage. Elle voulait que tout le monde l’entende, que son témoignage fasse écho. Que certaines se reconnaissent au travers de ses mots et que ça en encourage d’autres à oser parler. Ça fait partie du processus de cicatrisation. 

Son histoire souligne les effets psychologiques et physiques à long terme d’une première fois compliquée. Mais aussi le rapport à la douleur et la culpabilisation des femmes. Tu es normale, cette phrase l’a suivie durant des années.

Manon est arrivée au bon moment dans l’histoire de Nicole. Je me suis prêtée au jeu de l’interview et je l’ai écoutée attentivement, touchée par son histoire, et heureuse de pouvoir servir de relai. Avec Nicole j’ai l’impression de pouvoir m’exprimer sans barrières, sans cadenas et je pense ne pas être la seule à me retrouver là-dedans. Je pense que Nicole est un support qui libérera la parole de certaines femmes. C’est mon histoire personnelle, je voulais la mettre en lumière sans avoir l’occasion de le faire, en ayant la peur d’une étiquette. Très peu de monde est au courant de mon parcours sexuel.

*Les noms utilisés sont des noms d’emprunt.


« Je ne savais pas que mon corps s’était fermé »

« J’ai toujours tout fait un petit peu plus tard que la norme. J’avais des copines déjà en ménage, qui parlaient mariage. J’étais à mille lieux de tout ça, je rencontrais à peine un garçon. J’ai dormi chez lui et le but c’était de faire ma première fois avec lui. Il avait déjà eu d’autres expériences. Cette nuit-là, je me rappelle des détails de sa chambre, elle était bleue avec beaucoup de petites voitures, son lit était bleu clair. On a commencé un peu de préliminaires et puis je ne savais pas trop comment ça marchait. On n’avait pas de préservatifs je pense je ne me rappelle plus très bien. J’avais 19 ans. Il est venu sur moi, j’étais amoureuse, il y avait du consentement, on ne peut pas parler de viol. Au moment où il a tenté la pénétration, je ne sais pas comment ça s’est passé, ce que je devais faire. J’étais allongée, il était sur moi et j’ai eu mal, j’ai eu très mal. Je ne comprenais pas très bien. Sur le moment, il est étonné que ça ne rentre pas, il trouve ça bizarre. Il va avec un doigt ou deux, il chipote, je vois qu’il s’énerve. Moi, je ne comprends pas ce qu’il se passe. Pourquoi j’ai mal? J’ai vraiment très mal. Il réessaie plusieurs fois. J’avais du sang. J’ai pensé que l’hymen était perforé. J’avais mal. Je ne savais pas que mon corps s’était fermé à ce moment-là. Mon corps et mon sexe s’étaient fermés. Le fil de l’histoire, je l’ai refait des centaines de fois après, mais sur le coup je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Deux semaines après il m’a largué.  Il se passe un truc, on n’arrive pas à faire l’amour, il y a un problème. C’est ce qu’il m’a dit par texto. Les semaines passent. J’avais toujours fort mal, des gênes, du sang. Les douleurs n’avaient jamais cessées, j’avais une gêne en permanence. »

J’étais allongée, il était sur moi et j’ai eu mal, j’ai eu très mal. Je ne comprenais pas très bien.

« Elle voit une petite cicatrice, elle ne m’en parle pas tout de suite »

« Ma gynécologue m’envoie chez une kiné périnéale. Quand j’arrive chez cette kiné, Coline, je ne sais pas trop où je vais. Je ne savais pas non plus que cette femme allait devenir une des personnes pour qui j’ai le plus d’admiration dans ma vie. Je m’installe sur la table et elle m’ausculte. Elle ne sait pas rentrer un seul doigt dans mon vagin. Elle n’y parvient pas. Elle comprend qu’il est fermé et que mon corps a refusé quelque chose. Je lui explique ma première relation sexuelle assez compliquée. Elle ne me dit rien tout de suite, mais elle voit une petite cicatrice. Au fur et à mesure des séances elle parvient à introduire un doigt dans mon vagin. Finalement le but des séances c’était non pas de remuscler mon vagin comme le font les femmes qui viennent d’accoucher, mais justement de le détendre. Mon vagin était en fait hypertonique et donc complètement fermé. Le travail était de détendre tous les muscles. » 

« Il y avait toujours un endroit sensible. Coline a remarqué un point qui me faisait extrêmement mal. En se rapprochant et en regardant elle a remarqué qu’il y avait une mini cicatrice qui ne faisait pas plus de un centimètre. C’était une épisiotomie. Le problème c’est que dans mon cas ça a été déchiré comme une feuille de papier, ce n’était pas recousu proprement comme lors d’un accouchement par exemple. Et comme je n’ai pas pris conscience de ça, ça a mal cicatrisé. Elle appelle cet endroit la corde. C’était l’endroit le plus sensible pour moi. Tout son travail pendant quatre ans a été de masser les parois de l’intérieur de mon vagin et d’étendre cette petite corde. »

C’était une épisiotomie. Le problème c’est que dans mon cas ça a été déchiré comme une feuille de papier, ce n’était pas recousu proprement comme lors d’un accouchement.

Quatre ans de reconstruction physique

« Quand elle m’a parlé de cette cicatrice, je suis rentrée chez moi et j’ai pris un miroir, j’ai cherché cette cicatrice, je voulais la voir. À ce moment-là, pour moi le sexe était associé à quelque chose de négatif, à la douleur et non pas au plaisir. Pendant toute la durée de mon traitement, je trouvais toujours une excuse bidon pour éviter d’avoir un rapport sexuel. J’ai fermé la porte à des histoires potentielles car je savais que je n’étais pas capable physiquement. Mon corps n’était pas prêt. Ça a duré quatre ans. Quatre ans de reconstruction physique. Je pensais parfois que je n’y arriverais jamais, que je n’étais pas faite pour les relations sexuelles. J’en souffrais beaucoup. Quatre ans c’est énorme. Je n’avais pas le choix et j’ai souvent pleuré et voulu baisser les bras. Je lui ai déjà dit on doit couper cet endroit, ça me fait mal, c’est à cause de ça que je ne sais pas avoir de relations sexuelles, mon vagin est trop petit. Elle me répondait toujours que non il n’est pas trop petit, il est fermé. Et elle me réconfortait. Parfois on parlait d’un truc marrant pendant nos séances. Coline me parlait de sa vie, de ses enfants. »

Pour moi le sexe était associé à quelque chose de négatif, à la douleur et non pas au plaisir.

« Mon sexe était le pont-levis et personne n’avait trouvé le code » 

« J’ai une image, je ne sais plus d’où ça vient, mais je trouve que c’est tellement parlant. Tu imagines une princesse dans le donjon d’un château fort. Tout autour du château fort tu as de l’eau. Pour rentrer dans le château tu as un pont-levis qui s’abaisse. Le prince doit venir délivrer la princesse. Tout le cheminement pour délivrer la princesse, c’est tout l’acte sexuel. Le prince doit d’abord trouver le code pour faire basculer le pont-levis. Cela correspond aux caresses. Pour qu’une relation sexuelle se passe bien, il faut le bon code pour que le pont-levis s’abaisse. Une fois rentré dans le château, il fait toutes les pièces pour voir où se trouve la princesse. C’est le rapport sexuel en lui-même, avec les mouvements de va-et-vient, les différentes positions, telle pièce, tel chemin ou tel escalier. Quand il trouve la princesse, c’est le moment du plaisir. C’est tout un acte sexuel complet: des préliminaires jusque la finalité qui est la jouissance. J’ai trouvé cette image très bien faite, j’ai pu m’identifier. Mon sexe était le pont-levis et personne n’avait trouvé le bon code. Ma première fois, c’est comme si le prince avait frappé le pont-levis pour qu’il s’ouvre. Mais il ne s’est jamais ouvert. Il a continué à frapper et il l’a cassé. Mon pont-levis a été cassé et endommagé. Mon cheminement pendant quatre ans a été qu’on répare le boîtier pour entrer le code d’accès du pont-levis. »

Ma première fois, c’est comme si le prince avait frappé le pont-levis pour qu’il s’ouvre. Mais il ne s’est jamais ouvert. Il a continué à frapper et il l’a cassé.

« J’avais appris à connaître mon corps« 

« En 2012, je rencontre un garçon et on sort ensemble. Au bout de trois semaines, on est chez lui et je sens que je dois lui parler. Je lui explique mon parcours. C’est la première fois que j’en parle à quelqu’un d’autre que ma maman. La peur au ventre que l’histoire se répète. Cette nuit-là, il a fait tout doucement, et ça a été. On est resté deux ans et demi ensemble. Mais sexuellement parlant il a trouvé les bons mots, et avec lui j’ai pu enfin connaitre une relation sexuelle complète et connaître le plaisir. J’avais 23 ans et à nouveau, je faisais tout plus tard que la norme. Voyant que ça allait mieux, j’arrête les séances avec Coline. Je décide d’arrêter le traitement. » 

« Après ma rupture, je commence à vivre librement ma sexualité. Je découvre Tinder et des histoires d’un soir. J’ai profité et tout se passait bien. Je n’avais plus ce complexe. J’avais appris à connaître mon corps. J’ai exploré des positions, des lieux, des mecs, différentes tailles. J’ai pu savoir ce que j’aimais ou pas. Me rendre compte que la taille ne fait pas le plaisir mais plutôt la manière dont on l’utilise. J’ai aussi appris avec le temps à dire non, à refuser. À pourvoir dire je n’aime pas ça, si ça ne te va pas, la porte est là. Il faut le temps pour pouvoir s’affirmer. Tinder désacralise fort le sexe mais j’ai eu besoin de ça pour expérimenter, pour me faire un bagage, savoir ce que je voulais et pouvoir m’affirmer. » 

Écoute ton corps 

« Plusieurs années plus tard, j’ai une histoire avec un garçon. Je pensais être heureuse avec lui, bien qu’il ne m’attirait pas énormément physiquement. Pendant nos rapports sexuels, je recommence à avoir mal. Je me dis que ce n’est pas possible. Je recontacte Coline et elle commence par me demander si tout va bien dans ma relation. Je pensais que oui. Elle me dit que mon corps est en train de me dire quelque chose, que je dois écouter mon corps. Tu sais qu’il te parle, tu sais que tu dois l’écouter d’autant plus par ce que tu as vécu. Je pense que quelque chose ne va pas dans ton couple. Elle va même plus loin en me disant: écoute ton sexe. Je réalise que mon sexe m’envoie un message, un signal. J’ai compris plus tard qu’il me trompait et que cette relation était toxique. Je pense que mon sixième sens se situe dans mon sexe. La preuve: quand je faisais l’amour avec lui j’avais mal. »

Elle va même plus loin en me disant: écoute ton sexe. Je réalise que mon sexe m’envoie un message, un signal.

Quand je lui demande pourquoi elle a tenu à partager son vécu avec moi, elle me dit qu’elle veut souligner l’importance de la première fois. Ne pas la banaliser parce que dans mon cas, elle a eu une incidence sur toute ma vie sexuelle jusqu’à aujourd’hui. Ne pas sacraliser la première fois et ne pas la banaliser non plus. Peut être que plus jeune on ne s’en rend pas compte car on n’a pas le recul. Elle espère aussi ouvrir les esprits et libérer la parole par rapport à la douleur. Si il y a des filles qui ont eu mal ou qui ont encore mal, ce n’est pas une tare, elles ne sont pas mal faites. C’est ce que j’ai pensé pendant longtemps mais ce n’est pas un handicap. Je suis normale, c’est juste que le garçon a cassé le pont-levis. Et ce n’est pas ma faute. 

Manon conclut en me disant: finalement, ma vie à moi c’est connaitre le sexe et le plaisir après un épisode très douloureux, une convalescence et un cheminement de reconstruction qui a duré quatre ans.

Cette rencontre avec Manon m’a touchée et m’en a appris sur un sujet que je ne connaissais pas et dont je n’avais jamais entendu parler. Partager avec elle m’a confortée dans l’idée que la douleur lors des rapports sexuels peut avoir un impact réellement fort et qu’il peut être aussi bien physique que psychologique. Mais cette rencontre m’a surtout permis de rencontrer une personne forte, pleine d’espoir et de courage. Elle s’est battue pour se réapproprier son corps et sa sexualité. Son cheminement démarre avec une vraie blessure et lui a permis au final de connaitre son corps et de l’écouter. C’est un message fort. Merci de m’avoir fait confiance. 


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