Être ou ne pas être pénétré.e, telle est la question

Il n’y en a que pour elle, la starlette du rapport sexuel et la plus overrated des pratiques coquines. Je nomme: la pénétration! Certes, elle est utile, parfois agréable. Mais mérite-t-elle qu’on en fasse tout ce foin? Allons voir d’un peu plus près. 

Tu l’as fait? Mais jusqu’au bout? Pour du vrai? Ah ouais non si c’est pas rentré t’es encore vierge alors! Ça vous dit quelque chose? Nous sommes nombreuses à avoir eu cette conversation dans les toilettes de notre école secondaire (ou aux lycées/collèges pour nos amis français). Qui a fait LE truc, LA chose, LE graal, LA conclusion: la sacro-sainte pénétration. Parce que “s’il n’y a pas pénétration, alors c’est pas faire l’amour hein”. Ah bon? 

Pourquoi la pénétration est-elle si importante et pourquoi représente-t-elle, dans nos “normes” sexuelles, la fin du rapport, la conclusion, le but? Comme si tout le reste était du vent. Comme si les préliminaires, les caresses et les mots ne comptaient pas. Pourtant, pénétration rime-t-elle forcément avec plaisir? Pas forcément, loin de là. Cette obsession ne serait-elle pas la preuve que notre société est ultra-phallocentrée?

Pénétration rime-t-elle forcément avec plaisir?


Faire l’amour ou faire la pénétration?

Définition de faire l’amour: avoir un rapport sexuel. Rapport sexuel: n’implique pas systématiquement la pénétration, mais peut l’impliquer. Synonyme: coït. Coït: pénétration. Attendez, ça voudrait dire qu’on pourrait faire l’amour sans pénétration? Je vous ai perdues? Oui, moi aussi. La définition même de faire l’amour flotte dans un flou artistique. Et si on cessait de tourner autour du trou? Car comme le dit si bien l’écrivain français Martin Page, si la sexualité était une affaire de plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage… CQFD.

Si la sexualité était une affaire de plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage.

– Martin Page

Actif – passif, conjugaison ou sexualité?

C’est Bourdieu qui le dit dans La Domination masculine: « tout est opposition, dans la sexualité aussi ». Le rapport sexuel ne serait-il pas perçu comme un rapport de domination? Il suffit d’analyser le vocabulaire: se faire prendre, se faire retourner, se faire baiser et j’en passe. Il l’a prise, possédée, il l’a eue, je l’ai baisée, to fuck… C’est dominer au sens “de soumettre à son pouvoir” (Bourdieu). Il fait, elle reçoit, actif, passif. L’acte sexuel est vu comme une forme d’appropriation du corps de la femme (et oui encore une). Et pour l’homme, il s’apparente davantage à une conquête, avec l’orgasme comme victoire

Lire aussi: L’orgasme, meilleur ami du cerveau?

La norme sociale s’invite donc aussi dans nos lits. Mais attention, si on considère que la pénétration est la “vraie finalité” d’un rapport sexuel, cela revient à mettre l’orgasme masculin en priorité. Puisque, rappelons-le, le clitoris n’est pas forcément stimulé lors de la pénétration. Le nombre de femmes qui simulent (près de deux femmes sur trois l’ont déjà fait) prouve d’ailleurs que l’orgasme féminin fait parfois office de faire-valoir pour la virilité masculine.

Publication sur le compte Instagram @lafemiliste

Pré-liminaires? Post-liminaires?

Préliminaire (pré-li-mi-nê-r’) adj. 1 Qui précède et prépare l’action, le fait principal. (Larousse)

À nouveau, le vocabulaire ne nous aide pas. Par définition, les préliminaires sont relayés au second plan, comme s’ils ne faisaient pas partie de l’acte sexuel, ils sont comme exclus de l’acte sexuel en lui-même, de la baise, de la pénétration.

D’après l’étude d’OMGYES Sexual Pleasure Report, seulement 18,4 % des femmes affirment que la pénétration vaginale leur suffit à atteindre l’orgasme. Ce qui laisse tout de même 81,6 % des femmes sur le banc de touche. Pour kiffer, ces 81.6 % ont besoin de plus, ou tout simplement d’une autre forme d’intimité: être caressées, touchées, doigtées… Les possibilités sont infinies.

D’ailleurs, s’il y a bien un compte à suivre en matière de sexualité, c’est celui de Jouissance Club: ce compte donne des tips & tricks sur le plaisir et la sexualité tant du côté de l’homme que de la femme. C’est instructif, sans tabou, et ça montre toute l’étendue (enfin, une partie!) des possibilités hors pénétration. À follower d’urgence.

Publication sur le compte Instagram de @jouissance.club

Pénétrer = performer

N’oublions pas non plus que la-toute-puissante-pénétration fait aussi du tort aux hommes. À nouveau, les normes sociales s’imposent entre nos draps et prônent la pénétration et donc, la capacité à avoir une érection. Il faut bander pour être viril. Rien que le terme “impuissance” en dit long: pour être puissant, l’homme doit maintenir son pénis en érection suffisamment longtemps pour permettre le rapport sexuel. Les mecs doivent donc bander, à tout prix, sous peine de ne pas être virils, et les femmes doivent aimer être pénétrées. Sacrée pression.

Pénétré.e ou pénétrer?

Mais en fait, qui pénètre qui? La norme veut que l’homme pénètre la femme. Pénétration serait synonyme de soumission, et donc pas de virilité. Se faire pénétrer, c’est être soumis, passif, efféminé, et donc être une femme ou un homosexuel. Drôle de raccourci. 

Montrer qu’on pénètre mais qu’on est pas pénétré.

– Martin Page

Depuis leur plus jeune âge, les jeunes filles savent que la sexualité, ça fait mal (super, on se réjouit). Que la pénétration est douloureuse, que c’est normal que ça ne soit pas le septième ciel au début, mais qu’il faut prendre sur soi. C’est ça, être une femme. En revanche, on omet de dire aux jeunes hommes que ne pas réussir à avoir une érection, c’est aussi normal. Non, on leur dit qu’ils doivent assurer. L’éducation sexuelle des deux sexes est donc radicalement différente et manifestement pas cohérente. Et quand le porno prend le rôle d’éducateur sexuel, on peut parler de désastre.

Plaisirs insoupçonnés

Toutes ces idées reçues finissent par nous faire oublier que le sexe, c’est avant tout une question de plaisir. Pas étonnant que les débuts soient souvent chaotiques, lorsque les plus jeunes font leurs premiers pas dans la sexualité, l’esprit encombré de clichés et de principes. Petit à petit, en expérimentant, on découvre qu’il y a autant de zones érogènes qu’il y a de personnes sur terre, et que le pénis n’est pas la seule source potentielle de plaisir chez l’homme. 

Contrairement au plaisir des femmes que l’on a mis sous tutelle, on s’est construit notre petite cage tous seuls.

Vincent Hupertan, chirurgien urologue – Article sur slate

Alors ça dit quoi de notre société, tout ça? Que le rapport sexuel est un rapport social. Que nos pratiques sexuelles reflètent aussi notre société, nos croyances, nos rapports de domination. Que si on perpétue ce qui s’est toujours fait, c’est parce qu’on pense que c’est comme ça que ça marche. On en oublie d’écouter notre corps, nos sensations et notre plaisir. On enferme les hommes dans des clichés, les femmes dans des attentes. Alors pénétré.e ou pas, l’important c’est de se sentir libre de définir soi-même ou à deux (ou plus hein!) ce que faire l’amour peut bien vouloir dire. 

Pour y réfléchir…

  • Le livre à lire de toute urgence « Au-delà de la pénétration », de Martin Page

Dans ce manifeste, Martin Page nous partage ses réflexions, ses recherches, et de nombreux témoignages relatifs à la pénétration et tout ce qui l’entoure. À lire absolument de toute urgence très très vite.

Bien que nous vivons dans une société phallocentrée, cet article nous rappelle que certains aspects de la sexualité masculine restent aussi flous. 

  • La domination masculine, Pierre Bourdieu

Une analyse sociologique des rapports entre les sexes. Bourdieu cherche à comprendre la cause de cette domination masculine, l’analyse pour mieux l’appréhender. 


Copyright © 2021 NICOLE MAGAZINE Le contenu du site ainsi que les signes distinctifs « NICOLE » sont la titularité exclusive de NICOLE MAGAZINE et ne peuvent donc être utilisés sans le consentement préalable et écrit de celle-ci.