Le clito fait son come-back

Ignoré des cours d’éducation sexuelle et radié de l’Histoire, le clitoris est pourtant niché dans le sexe féminin depuis toujours, destiné à lui donner du plaisir. Une clé de liberté et d’appropriation de son corps, bridée à travers les siècles. Petit tour d’histoire.

“It’s not a bretzel”, lit-on sur les affiches représentant un clitoris, placardées dans les rues de Paris à Bruxelles. Cette campagne de sensibilisation (@itsnotabretzel) prône la libération de la sexualité féminine. Et ce n’est pas la seule. Ces derniers temps, podcasts, vidéos et documentaires se sont emparés du sujet avec intelligence, comme le documentaire belge “Mon nom est clitoris” qui a reçu le prix du meilleur documentaire aux Magritte du Cinéma 2019. 

Affiche issue de la campagne « It’s not a bretzel » sur le compte Instagram @gangduclito

Dessine-moi un clitoris

Mais si le clito inonde le web depuis peu, c’est qu’il a du temps à rattraper. Car après tout, tout le monde sait dessiner un pénis. Depuis la cour de récré jusqu’à l’âge adulte, le garçon et puis l’homme est (très) conscient d’être doté de cet organe, censé lui apporter force et puissance. Pour le meilleur et pour le pire, d’ailleurs, quand cette virilité forcée devient un fardeau pour les hommes. Mais quid du clitoris

Organe présent chez la femme depuis toujours, le clitoris a fait sa grande (ré)apparition en 2017 (oui, tu as bien lu) dans les manuels scolaires des éditions Magnard. On comprend mieux pourquoi tant de personnes ignorent encore son existence et son rôle dans la sexualité. Pour mieux comprendre cette aberration et se rendre compte de ses conséquences sur notre société, un petit retour en arrière s’impose…

Plaisir = reproduction

Commençons par le commencement (ou presque). Durant l’Antiquité et pendant des siècles, on est convaincus que le plaisir équivaut à la reproduction. On encourage donc les femmes à prendre du plaisir pendant l’acte sexuel, mais à deux, sinon rien. La masturbation est interdite (ce serait trop beau). Pour la femme, le plaisir pour le plaisir n’est pas accepté. Une femme qui se masturbe est vue comme une hystérique, car elle a soi-disant un trop grand appétit sexuel. Pour les médecins d’alors, cet appétit sexuel est considéré comme une maladie qu’il faut soigner. Mais au sein du couple, le plaisir est perçu comme une bonne chose pour la reproduction et donc pour la société. C’est la raison pour laquelle on accorde beaucoup d’importance au plaisir féminin. C’est plus tard que ça se corse.

Pour la femme, le plaisir pour le plaisir n’est pas accepté.

« Une excroissance destinée à disparaître »

Le clitoris est d’abord mentionné sous différents noms dans plusieurs écrits d’Hippocrate et d’Aristophane. Des années plus tard, Galien le qualifie d’excroissance de peau qui finira par disparaître. Plusieurs médecins préconisent les pratiques visant à retirer le clitoris car jugé trop long, ou pas esthétique et surtout, symbole d’un trop grand désir sexuel chez la femme.

Bonacciolli est le premier à introduire le terme “clitoris” dans la littérature médicale. À partir de 1559, Matteo Realdo Colombo et Gabriele Fallopio se disputent la “découverte” de cet organe (existant, accessoirement, depuis toujours…) après plusieurs dissections. C’est en 1850 que le clitoris est dessiné comme nous le connaissons aujourd’hui par Kobelt.

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En 1850, le (début du) drame

La découverte de l’ovulation met complètement à mal le clitoris, lorsque les scientifiques se rendent compte qu’il n’a aucun rôle à jouer dans la fécondation. C’est le début de la (tragique) période d’obscurantisme clitoridien. Tout ce qu’on avait découvert sur le clitoris est envoyé aux oubliettes et certains médecins prétendent même que ce dernier finira par disparaître, faute d’utilité. Cette pensée ne s’arrête plus.

Au XXe siècle, Freud n’arrange rien, que du contraire. Il affirme que l’orgasme clitoridien est inférieur à l’orgasme vaginal, que ce n’est pas un vrai orgasme et que les femmes qui prennent du plaisir grâce à leur clitoris sont immatures et névrosées. En 1917, il explique dans Introduction à la psychanalyse que le passage du statut d’enfant à celui de femme se fait par le déplacement du plaisir du clitoris jusqu’au vagin. La débandade continue: en 1930, le dictionnaire retire le mot clitoris de ses pages, en 1936, le Gray’s Anatomy, classique de l’anatomie humaine, ne légende plus le clitoris et en 1948, clou du spectacle, il le retire purement et simplement des manuels scolaires. Tout va bien.

Le mythe des deux orgasmes

En fait, pendant des siècles et jusqu’à aujourd’hui, l’idée selon laquelle il existe deux orgasmes – un orgasme clitoridien et un vaginal – oriente le plaisir féminin. Cette vision conforte la croyance selon laquelle la femme a besoin de l’homme pour jouir.

Ce n’est qu’en 1953 qu’on remonte la pente doucement, grâce notamment à Alfred Kinsey qui décrit le clitoris comme un organe hypersensible, bien plus sensible que les parois vaginales. Ou encore aux travaux des sexologues Masters et Johnson qui examinent plus de 700 personnes pendant un orgasme et découvrent que ce dernier vient du clitoris et se propage ensuite dans le vagin. Cette découverte remet clairement en cause l’existence de deux orgasmes différents.

Anne Koedt, dans son article Le mythe de l’orgasme vaginal (qui s’appuie sur les recherches de Masters et Johnson), dénonce le fait que le plaisir féminin est constamment étudié sous le prisme du plaisir masculin et que l’orgasme vaginal est considéré comme LE véritable orgasme. Comme elle le dit dans son rapport: les femmes ont donc été définies sexuellement en fonction de ce qui fait jouir les hommes; leur physiologie propre n’a pas été proprement analysée. Au lieu de ça, on leur a collé le mythe de la femme émancipée avec son orgasme vaginal – un orgasme qui en fait n’existe pas.

L’idée selon laquelle il existe deux orgasmes – un orgasme clitoridien et un vaginal – oriente le plaisir féminin. Cette vision conforte la croyance selon laquelle la femme a besoin de l’homme pour jouir.

Toutes frigides?

Les connaissances des femmes sur leur propre corps sont donc faussées depuis des siècles. Le clitoris s’étend sur les parois du vagin et fait donc de l’orgasme vaginal et clitoridien une seule et même chose. L’auteure américaine écrit: s’il existe de nombreuses zones érogènes, il n’y en a qu’une pour la jouissance: cette zone est le clitoris. Tous les orgasmes sont des extensions de la sensation à partir de cette zone. Et comme le clitoris n’est pas nécessairement assez stimulé dans les positions conventionnelles, nous restons « frigides« .

Le combat pour la réhabilitation du clitoris continue grâce à une figure emblématique: Shere Hite et Le rapport Hite, publié en 1976. Dans ce livre, la sexologue allemande interroge plus de 3 000 femmes à propos de leur sexualité. Les conclusions de cette enquête replacent clairement le clitoris au centre du plaisir et relaient la pénétration au second plan.

Un clito libre

Aujourd’hui encore, le clitoris peine à s’imposer dans notre société. Preuve en est: ce n’est qu’en septembre 2017 qu’il est représenté intégralement dans un manuel scolaire aux éditions Magnard en France. Jusqu’ici, il n’avait pas encore été correctement ou entièrement dessiné: les différents dessins ne montraient généralement que le gland du clitoris, la partie visible, soit même pas la moitié de l’organe.

La période d’obscurantisme clitoridien a laissé des traces encore perceptibles aujourd’hui. Des traces qui ont eu des répercussions sur des générations et des générations de femmes. Elle a instauré le tabou, infiltré la honte et bridé la sexualité féminine. Et si ce n’était pas qu’une histoire de sexe? Si le plaisir féminin était une clé indispensable pour s’approprier notre corps et assumer la femme que l’on choisit d’être? Et s’il était temps de donner au clitoris la place qu’il mérite?

Pour y réfléchir…

Sortie en 2013, la série relate les recherches des sexologues Virginia Johnson et William Masters sur les comportements humains et le rapport à la sexualité. En effet, en 1966, la publication des recherches et observations du binôme fait scandale aux États-Unis. Ils explosent les mythes concernant l’orgasme en observant des centaines de couples pendant l’acte sexuel dans leur laboratoire.

  • Entre mes lèvres mon clitoris: confidences d’un organe mystérieux, livre de Alexandra Hubin et Caroline Michel

Dans ce livre, Alexandra Hubin et Caroline Michel libèrent la parole et lèvent le voile sur cet organe mystérieux et mal connu qu’est le clitoris. Histoire, science et conseils se mélangent pour (enfin) apprendre à connaitre cet organe du plaisir.

  • Le rapport Hite, de Shere Hite

Après quatre ans d’enquête menée sur plus de 3000 femmes, Shere Hite publie les résultats de son étude dans ce livre. Sorti en 1976, il fait l’effet d’une bombe. En effet, interrogées sur la sexualité, les femmes brisent le tabou et les clichés concernant leur plaisir.

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