RENCONTRE: « TU AS MAL, C’EST COMME ÇA, C’EST LA VIE »

Céleste a 21 ans et est atteinte d’endométriose. Ou d’adénomyose. Ou les deux. Aucun médecin n’a pu lui donner une réponse claire. Elle a tenu à me raconter son parcours, semé d’embuches, mais rempli de positivité. Entre douleurs inexpliquées, et opération en pleine pandémie. Son cheminement n’est pas fini: on ne se débarrasse jamais de cette maladie. On apprend à vivre autrement. 

« Je suis en couple depuis plusieurs années, je trouve que c’est important de le souligner quand on parle d’endométriose » me raconte Céleste, de sa voix chaleureuse et solaire. Ce qui l’a marquée, c’est le flou dans lequel elle e été plongée dès l’apparition des premières douleurs. « Pas de diagnostic, pas de solution », cette phrase a rythmé sa vie durant plusieurs années. 


« Stopper les règles pour ne plus avoir de douleurs » 

« Je n’oublierais jamais ce souvenir: j’avais douze ans, en vacances à la montagne, vêtue d’un short blanc, mes premières règles se sont pointées. Rien à signaler au départ. C’est à quatorze ans qu’elles sont devenues très abondantes et interminables. Des cycles de trois semaines, le calme durant une seule semaine. Je faisais beaucoup de malaises à cause de l’anémie, conséquence inévitable de la perte de sang. J’avais quatorze ans lors de ma première visite chez le gynécologue. Il m’a prescrit une première pilule. Je n’avais pas vraiment mal à ce moment-là. Du moins, ça ne m’a pas marquée. Quand j’avais seize ans, j’ai rencontré Sam, mon compagnon. Et là, ça a commencé: des règles plus douloureuses. Ma maman n’avait jamais eu mal, mais ma grand-mère me disait qu’elle avait toujours eu mal pendant ses règles. Je pensais que c’était normal et dans mon entourage, c’est le cas de beaucoup d’amies. C’est la norme: avoir mal et prendre un antidouleur pour se soulager ou mettre une bouillotte. Alors je faisais la même chose, sans me rendre compte que les médicaments ne me faisaient aucun effet. Les douleurs pendant les règles, c’est quelque chose qui est intériorisé comme normal. Ça va de paire. Avec du recul, je pense que tu n’es pas censée avoir mal quand tu es réglée.

C’est la norme: avoir mal et prendre un antidouleur pour se soulager ou mettre une bouillotte.

Après mes seize ans, les règles sont devenues de plus en plus abondantes et les douleurs plus intenses. Je n’avais vu que un gynécologue. Il m’a prescrit une pilule en continu. Le but était de stopper les règles pour ne plus avoir de douleurs. Ça a marché un petit temps puis vers mes 19-20 ans, c’est devenu insupportable.» 

Des douleurs invisibles

« Je n’avais plus mes règles, j’avais changé trois ou quatre fois de pilule. Et je perdais toujours du sang, tout le temps. Pendant le déjeuner, il m’arrivait de perdre une flaque de sang d’un coup. Ensuite, des caillots, ça devenait compliqué. J’ai eu des crises de douleur vraiment insupportables. Je ne savais pas bouger pendant plusieurs jours. J’étais constamment fatiguée, d’ailleurs nos amis disaient que j’étais la « mamie » du groupe. Il est vrai que j’avais une vie très chargée, je travaillais beaucoup en plus de mes études et je pensais que c’était lié. Au début, j’avais des douleurs uniquement dans l’utérus, puis ces douleurs se sont étendues partout dans le ventre. Aussi, j’avais des troubles digestifs et le ventre gonflé. C’est pesant sur le quotidien car ça implique qu’il faut prévoir une serviette tous les jours. C’est handicapant. J’ai aussi eu énormément de cystites et d’infections urinaires. Le gynécologue m’a prescrit un traitement homéopathique avec des cranberries pendant un an. Ça a continué d’évoluer et j’ai commencé à avoir des douleurs pendant les rapports avec mon compagnon. J’avais mal dans certaines positions et aussi des pertes de sang. C’était progressif. C’est pour ça que ce n’est pas très clair dans les dates car c’est arrivé petit à petit. L’année 2019 a marqué un tournant. C’est devenu très pesant et cela s’empirait constamment. Je suis partie à Bali pendant deux mois pour l’école, j’ai perdu du sang tous les jours. J’ai commencé à me dire qu’il y avait un problème. En revenant, le gynécologue m’a dit que c’était peut être le décalage horaire ou la pilule en continu qui ne fonctionnait pas bien. Il ne voyait toujours rien. C’était mon gynécologue depuis toujours, je me sentais bien avec lui, il était très à l’écoute mais je pense qu’il prenait la solution la plus simple et il n’a pas fait le lien entre tout ce qu’il se passait. Il répondait à un problème sans prendre en compte tout le reste. »

« Tu fais une fausse couche »

« L’été 2019, j’ai fait une grosse crise, j’ai perdu des caillots de sang, j’avais très mal dans le ventre, et je suis retournée chez mon gynécologue. Il m’a dit: « il y a des taches de sang dans ton utérus, tu fais une fausse couche ». C’était le choc. Il a fait un prélèvement puis j’ai dû attendre les résultats. Je suis rentrée en disant à mon copain que je faisais une fausse couche, ça a été très dur. Ça a été le plus long week-end de notre vie. C’était le silence, nous n’avions aucune nouvelle. La semaine suivante, le gynécologue m’a dit que ce n’était pas une fausse couche. Il m’a confirmé la présence d’une tache et de beaucoup de sang dans mon utérus, et m’a conseillé de revenir dans six mois. Pas de diagnostic, pas de solution. Les mois passent, on me laisse dans l’incompréhension. On ne me parle même pas d’une possibilité. Il me laisse six mois sans savoir et surtout en ayant mal. Ça s’empirait, je me suis retrouvée plusieurs fois aux urgences, à perdre du sang dans la salle d’attente. On ne m’a jamais parlé d’endométriose. Pour eux, il n’y avait rien. Psychologiquement, je me disais que j’avais beaucoup de maux. Mal au ventre, des cystites, de la constipation, une grande fatigue, je ne savais pas que c’était une seule chose. J’étais vue comme celle qui avait constamment mal partout, comme l’hypocondriaque. Au mois de septembre 2019, ça a recommencé. J’ai décidé d’aller voir un autre gynécologue. » 

Il m’a dit: « il y a des taches de sang dans ton utérus, tu fais une fausse couche ». C’était le choc.

« Tu as mal, c’est comme ça, c’est la vie »

« Avec ce nouveau gynécologue, le diagnostic tombe. Enfin, presque. Suite à une échographie, il me dit que je souffre d’adénomyose (de l’endométriose à l’intérieur de l’utérus). Il me dit: « tu n’as pas d’endométriose, à part te donner une autre pilule, je ne saurais rien faire. » Il poursuit: « l’opération est inutile. Tu as mal, c’est comme ça, c’est la vie. Ça ne sert à rien d’aller plus loin. » Je n’oublierais jamais cette phrase. J’étais perdue, fâchée et perturbée. « C’est la vie », oui, mais ce n’est pas lui qui souffre. Je suis retournée vers mon premier gynécologue. Il confirme le flou total dans lequel je me trouvais déjà puisqu’il me dit que j’ai de l’adénomyose, et peut-être aussi de l’endométriose, mais rien n’est sûr. C’était en septembre. En décembre, je passe le réveillon en pleurs sur le divan à cause de douleurs très violentes. Je me suis ensuite tournée vers mon médecin traitant. Je vois enfin une solution s’esquisser quand elle me propose de passer une irm (imagerie par résonance magnétique). Finalement, l’irm révèle l’endométriose. 

Le médecin m’explique que les zones touchées sont: la vessie, l’utérus et les ligaments utéro-sacrés (ils sont en général assez détendus et chez moi ils étaient extrêmement tendus). On me révèle aussi que mon utérus est rétroversé, donc à l’envers (au lieu d’être antéversé). Je reçois toutes ces informations d’un coup. Je ne comprends rien. Je n’ai aucune nouvelle de mon gynécologue, donc je prends à nouveau rendez-vous. Je me suis sentie abandonnée. Pour mon gynécologue, l’opération est envisageable sous trois conditions: si les douleurs sont invivables, si la fertilité est en cause ou si la maladie a trop évolué. Dans mon cas, ça a évolué très vite. Trop vite. 

Je pense que quand mon médecin me l’a dit, je le savais. Je m’étais renseignée sur internet. Je le sentais. Ça a été un soulagement de me dire: « j’ai plein de maux, de douleurs mais tout est lié à une seule maladie. »

Une opération sur fond de coronavirus 

« L’opération est prévue pour avril 2020. Le gynécologue me prévient: « il se peut que en ouvrant on découvre que c’est la catastrophe, ou à l’inverse que ce n’est pas si étendu. » J’ai pensé aller à la clinique de l’endométriose pour un second avis mais les délais étaient beaucoup trop longs. 

Ce que je n’avais pas prévu, c’est le coronavirus. Et l’annulation des interventions non-urgentes. L’opération est donc reportée à … on ne sait pas quand. Les douleurs sont de plus en plus fortes. Il y a des nuits où je ne dors pas, c’est comme des coups de poignards dans l’utérus. 

L’opération est donc reportée à … on ne sait pas quand.

L’opération a finalement lieu le 25 juin 2020. C’est le premier déconfinement et cela implique que je devais être seule à l’hôpital. Sam m’a déposée, j’étais très stressée. Arrivés à la porte de l’hôpital on lui a dit assez violemment qu’il devait partir. J’avais trois heures à attendre seule dans l’hôpital. Seule avec toutes mes questions, et l’angoisse d’une première intervention. 

L’opération s’est bien passée. Le lendemain fût un peu compliqué. Entre un malaise, la canicule, des infirmières débordées et un début de phlébite à cause de la perfusion, je n’étais pas très sereine.

J’ai pu rentrer chez moi assez rapidement. Covid oblige, je devais faire mes valises et descendre cinq étage seule, en robe de nuit, bas de contention et avec des cicatrices encore fragiles… » 

Un parcours du combattant 

« L’endométriose, c’est le parcours du combattant. Trouver quelqu’un qui écoute vraiment, c’est compliqué, comprendre ce qu’il t’arrive aussi. Il y a tellement de paramètres à prendre en compte, que arrivée devant le gynécologue, tu ne penses pas à tout dire, tu es tellement paumée que tu ne sais même plus ce que tu devais demander. Il y a une semaine tu as eu mal là, deux jours après tu avais mal autre part et tu ne sais plus où tu en es. Tu écoutes ce qu’on te dit et ça s’arrête là.

J’avais une vie très chargée, je travaillais beaucoup. L’endométriose prend du terrain aussi quand tu es plus fatiguée. C’est une maladie qui t’apprend (malgré toi) à écouter ton corps. Si tu prévoyais de faire du sport le matin et que tu as des douleurs, tu ne le fais pas. Et ce n’est pas grave. Ça me permet de voir les choses autrement. Je décide. Je suis un personne organisée, j’ai dû me rendre à l’évidence que, avec cette maladie, ce n’est pas possible et il faut l’accepter. »

Un tabou encore trop présent

« Le gynécologue ne m’a jamais réorientée vers un psychologue ou un sexologue. Si j’ai un coup de mou j’ai mon médecin traitant, elle est à l’écoute. Sinon rien, on me laisse vraiment dans mon « truc ». Je n’ai pas été vraiment prise en charge. Oui j’ai été opérée, mais je ne me sens pas prise en charge à 100%. C’est une maladie importante, avec des conséquences qui peuvent être graves et qui peut s’attaquer notamment à la fertilité. Il faut apprendre à vivre avec la douleur et vivre différemment et on m’a laissée dans le flou. Ce n’est pas facile psychologiquement. 

Je vois le positif partout. J’avais mal partout et finalement il y avait une explication à mes douleurs. Je me dis que j’ai une maladie qui provoque des douleurs mais qu’il y a pire que moi. Je ne me plains pas du tout de ce que j’ai mais je trouve dommage que cela reste hyper tabou. Quand j’ai été opérée, je ne disais pas la vérité à mon entourage. Mais pourquoi? J’ai envie d’en parler parce que j’ai envie de dire aux jeunes filles comme ma soeur ou ma filleule: « si vous avez mal, ce n’est pas normal. » Il ne faut plus que ce soit tabou. Il n’y pas de raison de ne pas en parler. Heureusement, la parole se libère petit à petit. C’est en parlant que les gens se livrent aussi. Quand on dit qu’il y a une fille sur dix qui l’a, je pense que c’est plus que ça, car beaucoup ne le savent pas. On parle souvent de stades, mais finalement, ça dépend de plein de choses, on ne peut pas quantifier la douleur.

Je vois le positif partout. J’avais mal partout et finalement il y avait une explication à mes douleurs.

J’ai la chance aussi d’avoir un partenaire qui comprend, de longue date et je ne dois pas porter cette culpabilité quand j’ai mal ou quand il y a du sang lors des rapports. » 


Suite à son dernier rendez-vous chez un spécialiste de l’endométriose (à la clinique de l’endométriose), Céleste a la confirmation que la principale coupable de ses douleurs est bien l’adénomyose. L’endométriose n’est pas à exclure, mais aucune certitude ne peut être avancée jusqu’à présent. L’adénomyose, de l’endométriose à l’intérieur de l’utérus, est encore très méconnue également. Un nouveau changement de pilule ou la pose d’un stérilet est à prévoir pour éviter une nouvelle opération trop rapidement, car malheureusement, l’adénomyose est déjà revenue. « Le problème, c’est que l’opération n’a pas été réalisée par un spécialiste et certaines lésions sont dures à voir. » Ces maladies sont imprévisibles, tenaces, et forcent les femmes à vivre avec.

Il semblerait que bien que chaque femme touchée par l’endométriose le soit d’une façon différente. La seule chose qui les relie, c’est cet énorme flou dans lequel elles sont plongées dès les premiers symptômes. Cette errance médicale et cette incompréhension qui dure souvent longtemps. Puis, cet océan de questions sans réponse quand tombe le diagnostic, si il tombe. Mais oui, la parole se libère, de plus en plus de femmes décident d’en parler. Et c’est grâce à elles, ces femmes qui trouvent le courage de partager leurs histoires, que d’autres le font ensuite. Grâce à des femmes comme Joy, ou Céleste, alors merci à vous 🙂 

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