“La première fois, ça fait mal”, “T’as pas honte de ramener un mec différent chaque semaine?”, “Comment ça, vous ne changez jamais de position?”. Les commentaires vont bon train lorsqu’il s’agit de sexualité. On n’aurait donc toujours pas le droit de faire l’amour comme on l’entend? ’est vraiment si nul de faire l’amour?
Entre injonctions, tabous et fausses croyances, la liberté au lit, on n’y est pas encore. Même si depuis les années 60, on défend bec et ongles ce fameux “affranchissement” sexuel; dans les faits, c’est autre chose. La réelle liberté au lit, c’est pourtant celle qui nous donne le droit d’essayer ceci, mais pas cela, de dire qu’on aime ceci, mais pas cela… De signaler qu’on a mal ou pas, qu’on se sent sale ou pas, insatisfaite ou pas. La liberté, c’est de s’accommoder du bon vieux missionnaire du dimanche ou de faire l’amour pendant les règles si ça nous chante. Or, on en est loin! Comment je le sais? J’ai lu et entendu sur le sujet. Et j’ai demandé à Google aussi.
C’est vraiment si nul de faire l’amour?
Le bon sexe, c’est le sexe intrépide?
Taper “sexualité épanouie” sur le moteur de recherche me transporte immédiatement sur une épreuve de Koh-Lanta. Pratiques créatives, endroits insolites, partenaires multiples, jeux de rôle, BDSM, gang bangs… Pour Internet, une sexualité épanouie, c’est une sexualité rock’n’roll, faite d’aventures et de mystères. Pour être heureux au lit, il faudrait repousser sans cesse ses limites? Quelle pression! Et quel paradoxe aussi: à force de vouloir casser la routine, n’y retomberions-nous pas un peu?
En 2020, pimenter ses ébats est devenu la target à atteindre. La norme, c’est de la combattre. La norme, c’est de faire autrement. Mais pourquoi se donne-t-on autant de mal à rabattre les cartes? Les rituels nous rendent-ils vraiment malheureux? Le sexe “classique” serait-il si fade? On devrait donc ajouter un soupçon de harissa pour que ça décoiffe? Ça y est, je viens de franchir la porte des cuisines de Top Chef…
Une histoire de sens
Google regorge d’articles nous offrant des “secrets”, “solutions miracles”, “commandements” et autres “clés” pour vivre une sexualité heureuse. Alors que la sexualité est une histoire de corps, de sens et de ressentis, un algorithme semble mieux s’y connaître que nous. Et puis il y a l’entourage, les femmes et les hommes qu’on croise et qui y vont de leurs impératifs à eux: “T’as jamais essayé la sodomie? Et le fist fucking? Il faut tester pour se faire son avis!”. “Il faut tester”: autre injonction! Y aurait-il une règle en la matière? Un nombre de pratiques à essayer pour être officiellement “complet” et expert? La quantité ferait-elle pour une fois la qualité? Et si finalement, l’idée n’était pas de pratiquer la routine pour l’améliorer? Les vieilles casseroles pour une soupe toujours meilleure…
Le crop top, ça déconcentre les garçons
Impossible pour moi de ne pas revenir sur l’actualité de ces dernières semaines, et surtout de cette pépite (et je pèse mes mots) diffusée à heure de grande écoute sur une chaîne française. Je ne décolère pas (et j’espère que vous non plus). Le débat (qui est en fait un non-débat) concerne les tenues des lycéennes. Enquête dans Marianne, interview d’un peu près tout le monde (et n’importe qui). Tout le monde s’est mis d’un coup d’un seul à “réfléchir” sur (et à décider de) la “tenue correcte” des étudiantes. Et puisque le crop top déconcentrerait les pauvres messieurs, il faudrait donc les épargner et ne pas en porter. On nage en plein délire!
Ça ne nous regarde pas
La société entière semble avoir son mot à dire sur tout. Et surtout sur ce qui ne la regarde pas. Il y aurait donc une façon “républicaine” de s’habiller, comme il y aurait un “bon sexe” à aimer et des “bons choix” pour nos propres corps. En 2020, des sujets intimes et personnels deviennent des manifestations sur la place publique et des débats télévisés.
Notre société est prise en étau entre tabous et liberté. Entre évolution et régression. On vacille, on frôle les limites comme un funambule sur sa corde. Alors qu’on nous montre des femmes dénudées pour nous vendre du beurre, mais qu’on ose à peine prononcer le mot “pénis” en public et dans les salles de classe, porter un crop top s’ajoute à la longue liste des circonstances atténuantes lors d’une agression. Cherchez l’erreur.
Le sexe est devenu un acte sociétal et les choix qui l’entourent semblent devoir être votés par tous. Tu aimes la fellation? Tu n’as pas la majorité absolue. Tu veux avorter? Pas assez de sièges avec toi! Tu ne veux pas porter de soutien gorge? 60% a voté contre. Bientôt, on décidera de notre nouvelle coupe de cheveux à la main levée.
La société ne trouve pas l’équilibre face à la sexualité. Elle la banalise, la condame, la juge… Elle ne sait pas comment se positionner face à elle et continue de nous envoyer une multitude de signaux contradictoires.
Plaisir coupable
Une femme qui se masturbe: coupable. Qui vit une sexualité libérée: coupable. Qui cherche son plaisir: coupable. Pourquoi le plaisir est-il sans cesse relié à la culpabilité? Cette contradiction viendrait-elle à nouveau de notre passé religieux? Fort probable. Pas de place pour le plaisir dans la religion. Le sexe, c’est pour procréer. Et c’est tout. Impensable donc de parler de masturbation. Le plaisir est un pêché. Le plaisir est un crime. Et avoir du plaisir sans procréer, c’est pécher. C’est ainsi que la culpabilité s’est invitée dans nos lits. Et pas que.
Pourquoi la masturbation féminine est-elle plus tabou que la masturbation masculine? Serait-ce impensable qu’une femme éprouve du plaisir… seule? Serait-elle coupable d’un crime? Ici encore, on attend tout et son contraire de la femme: elle doit être un bon coup, mais pas trop dépravée, elle doit être ouverte d’esprit mais pas transgresser. Elle doit être la salope et la mère. D’où vient cette inégalité face au plaisir? L’éducation y a-t-elle inconsciemment participé?
Coupable d’avoir (d’être) un corps
Dès le plus jeune âge, les filles ont un regard plus sévère sur leur propre corps que les garçons. Entourées d’images de corps parfaits (lisez “répondant aux critères de notre société”). Réseaux sociaux, télévision, magazines et autres publicités ne sont pas innocents… Grandir avec son propre corps, l’accepter et s’y sentir chez soi n’est pas mince affaire. Trop grosse, trop fine, trop grande, trop belle… La culpabilité commence dès l’enfance avec ce corps qu’il faut apprendre à accepter et à s’approprier.
Le dessinateur Georges Wolinski écrivait que “les hommes cherchent ce qui est bon. Les femmes, ce qui est bien”. D’après plusieurs études, on apprend aux petites filles à être gentilles, emphatiques et à plaire aux autres. Leur plaisir est intériorisé et existe dans le plaisir de l’autre et dans le regard de l’autre. Quand on parle d’orgasme, en sachant qu’il est déjà plus cérébral chez les femmes, la culpabilité fait l’effet d’un court-circuit. Noyée sous ces injonctions et cet impératif d’être “ni trop ni trop peu”, on a tendance à chercher un équilibre qui n’existe pas. Alors que finalement être une femme, c’est surtout être soi. Comme on l’entend.
Alors, le sexe, c’est si nul que ça? Ça dépend. Ce qui est sûr, c’est qu’avant de le condamner de but en blanc, il faut comprendre d’où viennent ces connotations négatives et apprendre à les déconstruire. Il faut oser parler des tabous et faire de son partenaire de lit un véritable allié. Parce qu’au final, lorsqu’il est consenti et désiré, le sexe c’est franchement pas si mal.
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