Vendredi soir, je scrolle sur mon fil d’actualité Instagram. Quelque chose me dérange: la nudité y est omniprésente et frôle parfois la pornographie. Une part de moi succombe à la tentation du jugement hâtif: “c’est vulgaire”. L’autre se questionne. Les femmes ne sont-elles pas maîtresses de leur corps? Alors, pourquoi suis-je contrariée?
C’est la question qui m’a poussée à écrire cet article. Oui, un truc me chiffonne. Peut-être que ça te chiffonne toi aussi. Mais la vraie question, c’est pourquoi? Sommes-nous trop habitués à la pudeur? Est-ce qu’Instagram est devenu le Pornhub soft? Peut-on d’ailleurs parler de soft porn? J’ai cherché des réponses sur Google, et je vous ai demandé votre avis.
Soft porn et censure
De deux choses l’une: le soft porn, c’est quoi? Et veut-on en voir sur Instagram?
Le soft porn, c’est une forme de pornographie, mais moins explicite, moins hard. Quant à savoir si Instagram est la plate-forme adéquate pour cela, la réponse est non. Alors ces contenus peuvent-ils réellement être qualifiés de “soft porn”? C’est là que tout se brouille. Pour y voir plus clair, je me suis posée la question: qui sont les utilisateurs d’Instagram? Quelles raisons les poussent à utiliser ce réseau?
D’une part, les chiffres révèlent que plus de 3% des utilisateurs d’Instagram ont entre 13 et 17 ans et qu’aucune vérification d’âge n’est requise lors de l’inscription. D’une autre, la politique concernant la nudité sur Instagram relève presque de l’aléatoire. En effet, plusieurs comptes se sont vus censurés et menacés d’être supprimés sans raison valable. Céline et Margaux du compte @entrenoslèvres ont d’ailleurs publié les “pires histoires de censure d’Instagram”. Tout comme Nicole, qui a déjà été censurée sur une publication montrant… une culotte.
(Suite aux critiques, Instagram a récemment changé sa politique de nudité et autorise désormais les photos de femmes qui allaitent, comme on peut le lire ici.)
Instagram ou pornhub?
Le dernier clip de Cardi B, les vidéos de Léa Élui, les photos de l’instagrameuse Pauline Stantot, … autant d’images qui m’ont inspiré cet article.
Ma première réaction? “Ça n’a pas sa place sur Instagram”. Contrairement aux sites pornographiques, qui ont pour but d’attirer des utilisateurs informés et avisés sur ce type de contenu, ce n’est pas le cas d’Instagram. C’est peut être ça qui me gêne. Car la pornographie y est omniprésente malgré tout, de manière soft et même moins soft, comme le décrit cet article.
Profitant du créneau, de nouveaux réseaux sociaux voient d’ailleurs le jour. C’est le cas de MYM et Onlyfans qui proposent des abonnements payants pour accéder à du contenu exclusif (lisez: photos dénudées) de célébrités. L’avènement de ces nouvelles plateformes signifierait-il que le soft porn est devenu un business à part entière? Avec son public cible et ses plateformes?
« Va-t-on ignorer le fait que j’ai de grosses fesses? »
Tu as certainement déjà vu passer ce genre de commentaire, et pour cause, quand je dis que la pornographie est omniprésente sur Instagram, elle l’est.
Depuis plusieurs mois, le réseau social est envahi par un nouveau fléau: les faux comptes pornographiques. Comment ça fonctionne? Ce sont des comptes spams qui postent des commentaires, des photos ou des messages privés incitant à se rendre sur leur site. Ces comptes sont aidés par des bots (logiciel qui réalise une tâche automatiquement) chargés de liker leurs commentaires, pour que ceux-ci se retrouvent en tête de liste sur les photos de célébrités. Comment ces comptes passent-ils entre les mailles du filet de la censure d’Instagram? Fautes d’orthographe, espaces entre les lettres ou citations de séries, ils ne manquent pas d’imagination, et force est de constater que ça marche. L’algorithme d’Instagram n’y voit que du feu.
Selon une enquête menée par Intrascreener, il existerait aujourd’hui plus de 150 millions de faux comptes pornographiques et non pornographiques que Instagram s’évertue à faire disparaitre, en vain.
Le corps comme objet de communication
Sur les réseaux sociaux, l’équation est simple: likes + abonnés = contrats = rémunération. Mais pourquoi une photo est-elle likée? C’est l’inconnue de l’équation. Qualité photographique? Talent du mannequin? Recherche artistique? Et si c’était encore plus simple? Une enquête soutenue par l’European Data Journalism Network et Algorithm Watch révèle que les photos de nu sont plus susceptibles d’apparaître sur nos fils d’actualité. Bien que niée par Instagram, cette enquête serait-elle la réponse à l’équation?
Des influenceuses utilisent leur corps comme un objet de marketing. Peut-on alors parler d’hypersexualisation quand c’est un choix? L’intimité aurait-elle un prix? J’aurais aimé en discuter autour d’un apéro, mais… 2021, tout ça. Alors, je vous ai questionnés:
“Moi je suis toujours mitigée. D’un côté, je me dis que la meuf est canon et qu’elle fait ce qu’elle veut, qu’elle s’assume. D’un autre côté, je ne comprends pas vraiment l’intérêt de ce genre de post. C’est très réducteur. ‘Regardez-moi, je suis bonne’. Je me dis qu’on est tellement plus que juste un corps à moitié à poil.” – Salomé, 26 ans.
“À partir du moment où une femme se met à poil pour sa comm, pour faire le buzz, pour attirer l’attention et les followers, on est dans l’hypersexualisation de la femme. Après, il y a aussi le côté ‘elle fait ce qu’elle veut’, et ici on ne la sexualise pas, c’est elle qui se sexualise elle-même pour son propre compte…” – Chanelle, 26 ans.
“Je ne comprends pas l’intérêt de faire ça, que ce soit en tant qu’homme ou en tant que femme. Je trouve qu’on est arrivés à un point où c’est devenu ultra normal de se montrer nus sur les réseaux sociaux alors que pour moi c’est quand même quelque chose de privé.” – Alessandro, 26 ans.
“Il y a un paradoxe énorme. D’un côté, il y a le ‘je fais ce que je veux de mon corps’, et de l’autre, le fait de savoir qu’en montrant son corps, il y aura un buzz autour. L’hypersexualisation est super présente, et on ne peut pas dire que c’est ‘juste quand ça m’arrange’. Après, force est de constater que les commentaires négatifs sur le contenu sexy concernent majoritairement les femmes. Il y aussi des comptes vraiment artistiques avec des photos de nus qui n’ont rien à voir, qui sont sensuelles mais pas vulgaires.” – Jean, 24 ans.
“Si on prend l’exemple de l’influenceuse Léa Elui, elle est un peu prisonnière de son contenu. C’est par le biais de ce genre de vidéos qu’elle s’est fait connaître, très jeune. Dans les commentaires, certaines personnes la félicitent en disant que ça leur permet de se décomplexer dans l’appropriation de leur propre corps. Tout cela questionne. D’un point de vue plus général, je ne vois là que la succession d’images qu’on a l’habitude de côtoyer depuis 30 ans. On ne fait finalement que reproduire ce qui a été fait, avec un effet retors qui est d’inviter tout un chacun à reproduire ces mêmes codes chez lui. Au-delà de la question de l’utilisation qu’elle fait de son corps et de l’image qu’elle entend transmettre, cela questionne davantage nos biais de consommation à plus grande échelle. Ce genre de contenu ne choque plus personne, est-ce une mauvaise chose? Je ne sais pas.” – Maxime, 30 ans.
Ni slutshaming, ni jugement. C’est un sujet épineux aux limites très floues. Emily Ratajkowski l’écrit dans sons essai « Baby Woman » : « Où les filles doivent-elles regarder pour trouver des femmes indépendantes qui décident quand et comment elles veulent se sentir sensuelles ? Même si le fait d’être réduite à sa sexualité par le regard de la société est dévalorisant, il devrait y avoir un espace où les femmes peuvent se sentir sexy quand elles le souhaitent. ». Chaque femme est maîtresse de son corps. Être sexy est un droit qui doit être respecté. La question est plus générale: Quel message est envoyé aux jeunes? Qu’est-ce que cela dit de notre société? De notre rapport au corps? Notre rapport à l’intimité aurait-il radicalement changé?
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