RENCONTRE: « S’IL M’AVAIT DIT: SAUTE D’UN PONT, J’AURAIS SAUTÉ »

Mathilde* m’a contactée un jeudi soir. « J’aimerais te partager mon histoire. J’ai été victime de violences conjugales. Je pense que ça pourrait aider d’autres filles ». J’ai écouté son témoignage, touchée et concernée à l’idée qu’il puisse, par le biais de Nicole, avoir un impact sur l’histoire d’autres femmes. Dans cet article, j’espère donner à ses propos l’écho qu’ils méritent.

« Je te contacte pour te faire part de ce que j’ai vécu il y a quelques années », ont été les premiers mots de Mathilde lors de notre échange. « Pendant un peu plus de deux ans et demi, j’ai vécu une relation conflictuelle  – pour le dire gentiment. Si je tiens à en parler aujourd’hui, c’est parce que si à l’époque j’avais pu rencontrer quelqu’un avec une histoire similaire à la mienne, les choses se seraient peut-être passées différemment. Je m’en serais peut être sortie plus vite. Avoir quelqu’un avec qui en parler, ça m’a vraiment manqué. » 

*Les noms utilisés sont des noms d’emprunt


Tout ce qu’il disait, je le suivais à la lettre 

« J’avais presque 18 ans. Je venais de sortir de ma première relation sérieuse.  J’étais à l’université, sauf que j’ai très vite compris que ces études n’étaient pas faites pour moi. Je passais donc plus de temps dans le Carré qu’à l’école. Lui, il avait 21 ans et il était barman. Une chose en entraînant une autre, on s’est vite rapprochés. Au début, tout allait bien, il avait la tchatche, il était mignon, il faisait craquer toutes les filles. 

Au fil des mois, il a commencé à me retourner le cerveau. Ça a commencé en douceur, avec des remarques comme: ‘à ta place je ferais plutôt ça’. Il mettait tout en place pour que je me dise par moi-même: je vais l’écouter. Au début, ce n’était pas des interdictions mais plutôt des conseils, tout au plus un peu déplacés. Comme j’étais raide dingue de lui, je suivais à la lettre tout ce qu’il disait. Mais ça, c’était au début. »

Si tu ne le fais pas, c’est que tu ne m’aimes pas

« Petit à petit, les choses se sont empirées. Par exemple, je devais lui prêter ma voiture dès qu’il l’avait décidé, et ce même si j’en avais besoin pour aller en cours. Il voulait aussi que je lui prête de l’argent. Il tournait toujours ça d’une façon très subtile, il me disait: ‘j’en ai vraiment besoin, si tu ne m’en prêtes pas, c’est parce que tu ne m’aimes pas’. J’avais toujours besoin de lui prouver mon amour, sans quoi je subissais une déferlante de reproches. ‘Si tu ne fais pas ça, c’est que tu ne m’aimes pas, je vais trouver quelqu’un qui m’aimera plus que toi.’ Ça, c’était la deuxième phase: la manipulation. Il piquait des crises démesurées pour des bêtises. Si je ne voulais pas lui prêter ma voiture, il était convaincu que c’était parce que je voulais aller voir un autre garçon.

Un jour, il m’a suivie après les cours. Je buvais un verre dans un bar près de l’école avec deux amies. Pendant ce temps, il me regardait par la fenêtre de sa voiture. Je l’ai vu. C’est là que ça a vraiment commencé à déconner, je pense. On a eu une grosse rupture. J’en ai pleuré et j’ai rampé pour le récupérer. »

‘Si tu ne fais pas ça, c’est que tu ne m’aimes pas, je vais trouver quelqu’un qui m’aimera plus que toi.’ Ça, c’était la deuxième phase: la manipulation.

Des remarques sur tout

« La violence psychologique a toujours été là, en réalité. Il était très macho, il me faisait des remarques sur tout ce que je faisais. Sur ce que je portais comme vêtements, sur ma façon de me maquiller. Selon lui, si je me maquillais, c’était parce que je draguais d’autres garçons. Il s’amusait à me répéter: tout le monde te prend pour une pute, jamais personne ne t’aimera comme moi, si quelqu’un d’autre se met avec toi, ce sera seulement pour coucher avec toi. Tout cela s’est fait très progressivement. »

Si je le quitte, il me reste quoi?

« Il a réussi à m’isoler de tout le monde. Il voulait que je ne vois plus personne à part lui. Il me racontait des mensonges sur mes amies, me poussait à couper les ponts avec plusieurs d’entre elles. Il faisait des crises à chaque fois que j’allais en cours. J’ai fini par ne plus y aller car il venait m’espionner dans les couloirs et se fâchait quand je disais bonjour à mes amis. Je me suis retrouvée complètement isolée. Même de ma famille. Je vivais encore chez mes parents mais on ne se parlait même plus. Ils ne l’appréciaient pas, ils avaient beaucoup de préjugés. ‘Barman dans le carré…’ Ils ne m’ont jamais soutenue dans cette relation, même quand ça allait ‘bien’. Comme je m’isolais, mon entourage ne s’est pas rendu compte que la situation dégénérait. J’étais vraiment seule, je n’avais personne à qui parler.

J’étais sous son emprise. S’il m’avait dit: ‘saute d’un pont’, je l’aurais fait. Il décidait tout pour moi. Je ne me voyais pas vivre sans lui car je me disais: si je le quitte, j’ai quoi? Je n’ai rien. Je me raccrochais aux rares moments où ça se passait bien entre nous. Et je me disais que si je rompais, il ne me resterait que les conflits avec mes parents, le décrochage scolaire… Le quitter, c’était impossible, j’étais complètement dépendante de lui. »

J’étais sous son emprise. S’il m’avait dit: ‘saute d’un pont’, je l’aurais fait. Il décidait tout pour moi. Je me disais: si je le quitte, j’ai quoi? Je n’ai rien.

Si j’ai envie de toi maintenant, c’est maintenant. Point.

« La mémoire fait bien les choses, je ne me rappelle pas exactement de tout. Je pense que la première gifle, c’était un soir de Saint-Valentin. Il m’a giflée. J’ai fini aux urgences à la suite d’une crise de panique. J’ai fait un black out. Je ne répondais plus, je pleurais, je faisais de l’hyperventilation, je me suis évanouie. Par culpabilité sûrement, il m’a amenée aux urgences. C’était récurrent. J’avais peur de lui. Je faisais très souvent des crises de panique. Sur le coup, je ne savais même plus si ça s’était vraiment passé ou pas, je me disais que c’était moi qui avais un problème. Je ne réalisais pas, je me disais que ça ne pouvait pas m’arriver à moi

Je pense que la première gifle, c’était un soir de Saint-Valentin.

Le matin, je prenais ma voiture et je disais à mes parents que j’allais en cours sauf que je passais toute la journée avec lui. Je pense pouvoir dire que j’ai vécu des dizaines et des dizaines de viols. Il n’y avait pas un moment où j’avais envie de lui. Peu importe l’endroit ou la manière, pour lui c’était: si j’ai envie de toi maintenant, c’est maintenant, point.

Ce qui est fou, c’est qu’en temps normal, ma peau marque très vite. Mais avec lui, je n’avais jamais de marques physiques. Un jour, j’ai eu quelques bleus parce qu’il m’avait étranglée. Mais c’était rare, du coup personne ne se rendait compte de rien, même pas mes parents. Un jour, la police a débarqué et a appelé mes parents. Des témoignages leur avaient été rapportés, indiquant qu’il m’avait frappée en public. Ma mère m’a fait me mettre en sous-vêtements devant elle pour être sûre que je n’avais pas de bleus, et je n’avais rien.

Après une crise, il revenait en me disant qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas faire ça, qu’il fallait le comprendre… Il remettait constamment la faute sur moi. Je n’avais déjà pas vraiment confiance en moi avant la relation, mais lui m’a fait perdre tout ce qu’il m’en restait. Quand je suis sortie de cette relation, j’étais plus bas que terre, il m’a fallu des années pour me reconstruire, pour me dire: je suis là, j’existe et je ne suis pas un grain de sable. »

Quand je suis sortie de cette relation, j’étais plus bas que terre, il m’a fallu des années pour me reconstruire, pour me dire: je suis là, j’existe et je ne suis pas un grain de sable.

Il faut que ça s’arrête

« J’ai fini par ouvrir les yeux. J’ai eu un déclic. Quand je vois des femmes qui vivent de la violence conjugale, je me dis que j’ai eu de la chance d’avoir ce déclic. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais je me suis dit: c’est trop, tu te fais du mal dans cette relation. Stop.

Ce déclic m’est venu un soir. Il a débarqué chez mes parents sans y être invité. Il venait me menacer pour une histoire de cours de danse, sans aucune importance. Il m’a poussée contre le mur dans le jardin chez mes parents. Dans la cuisine, il y avait mes parents, mon frère, ma soeur. Comme on était dehors, personne n’a assisté à la scène. Mais le fait qu’il soit rentré sans y être invité, qu’il m’ait poussée contre le mur, qu’il ait fait une scène pour n’importe quoi: c’était trop. C’est là que je me suis rendue compte qu’il fallait que ça s’arrête. Je ne sais pas pourquoi, à ce moment précis, j’ai eu la force de lui dire que c’était fini. Il est parti en rage. Heureusement qu’il n’est pas resté, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Il n’a pas lâché l’affaire si vite: il a essayé de revenir, il est venu sonner en jouant le gentil devant ma mère. Il a même voulu rentrer chez moi au milieu de la nuit. Il m’a envoyé des tas de messages. J’ai porté plainte plusieurs fois: j’étais décidée, c’était fini pour de bon. » 

Un véritable “pervers narcissique”

« Après la rupture, j’ai éprouvé le besoin d’en parler, de demander de l’aide. J’ai consulté une assistante sociale pendant plusieurs mois. Au fur et à mesure, je me suis rendue compte que ça avait toujours cloché, depuis le début. Elle a employé le terme de ‘pervers narcissique’. C’en était bien un. 

Aujourd’hui, j’ai encore très peur. Trois ans après cette histoire, je fais encore régulièrement des cauchemars. Quand je marche seule, j’ai peur. Peur de le croiser, peur qu’il ne découvre mon adresse, peur quand je croise quelqu’un qui lui ressemble. J’ai envie de me cacher. Comme si j’avais quelque chose à me reprocher, alors que non. Je pense que je vivrai toujours avec cette boule au ventre et cette angoisse de le croiser. Il a été tellement atroce avec moi qu’aujourd’hui encore, ça me stresse énormément. »

J’ai survécu, je m’en suis sortie

« Dans ma relation actuelle, je m’affirme beaucoup plus. J’ai survécu à cette terrible relation, je m’en suis sortie: je ne veux plus jamais revivre ça. Mon compagnon actuel est super, même si ce n’est pas toujours évident pour lui: s’il n’est pas d’accord avec moi, je peux réagir un peu fort. Il est au courant de mon histoire, je lui ai expliqué. On a fait installer un système d’alarme dans notre maison pour que je sois rassurée

Des années plus tard, j’ai essayé d’en parler à mes parents. Ils n’ont pas bien réagi. Mon père a un peu compris, ou en tout cas il m’a crue: il est médecin et a déjà eu des patientes qui ont vécu ça. Mais j’ai vraiment du mal à en parler avec mon entourage.

Comment ai-je réussi à le quitter? Je ne me l’expliquerai jamais. Certaines femmes vivent ce genre de relations pendant des années. Pour moi, cette dernière crise avait été celle de trop, je ne sais pas pourquoi j’ai enfin réagi. »

Quand je demande à Mathilde pourquoi elle m’a contactée, elle me répond: « Je pense que lire le témoignage d’une femme dans la même situation que moi aurait pu m’aider à ce moment-là. Mais aussi, après la rupture. Aller voir des assistantes sociales c’est bien beau, mais elles n’ont pas vécu ça. Avoir en face de soi quelqu’un qui l’a vécu, qui sait ce que c’est et qui sait à quel point on peut se sentir paumée après m’aurait, je pense, aidée à me reconstruire plus vite. » 

Honnêtement, j’avais un peu peur de cette rencontre, peur de ne pas relater l’histoire comme Mathilde l’a vécue, de ne pas employer les bons mots lors de notre échange. Finalement, j’ai été épatée par cette femme, par sa force venue du plus profond d’elle-même, une force qu’elle ne s’explique pas elle-même. Le corps a des ressources inimaginables et Mathilde l’a bien décrit. Je me suis sentie responsable d’une mission: celle de faire écho à son histoire. Et, je l’espère, de pouvoir aider de manière même infime une autre femme forte, dont la force est peut-être enfouie mais qui ne demande qu’à se révéler au grand jour. 

Merci Mathilde pour ta confiance.

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