RENCONTRE AVEC MANU, ROBIN ET LIONEL: « C’EST DIFFICILE D’ÊTRE AUSSI FÉMINISTE QU’UNE FEMME »

C’est la star des réseaux sociaux, le mouvement qu’on adore détester, la définition qu’on préfère déformer, le débat qu’on préfère ponctuer de « oui mais », j’ai nommé: le féminisme. Prisonnier du traditionnel « c’est pour les femmes », il peine à intégrer le club très fermé des causes qui concernent … tout le monde. 

Et pourtant, le féminisme, c’est l’affaire de tous. Des femmes et des hommes. Mais je ne vous apprends rien. Et des hommes féministes ça existe, mais là non plus je ne vous apprends rien. En revanche, ce que j’ai appris, c’est qu’il y a mille façons d’être féministe et d’agir en tant que tel. Et ça, c’est grâce à Manu, Robin et Lionel. Trois hommes d’horizons et d’âges différents, qui ont accepté de se livrer sur leur vision du féminisme. Des hommes? « Mais je ne lis pas homme dans féminisme » Non, et bien une brève définition s’impose, pour remettre les points sur les « i », et ça tombe bien il y en a deux.


Un homme féministe, c’est quoi?

« Un homme féministe selon moi, c’est un homme qui se rend compte qu’il y a encore d’énormes disparités entre les hommes et les femmes. C’est une personne qui s’informe, s’intéresse et qui essaie de lutter, à sa manière pour que ces discriminations envers les femmes cessent. Pour arriver enfin à une égalité totale dans tous les domaines. » – Robin, 26 ans. 

« Ce n’est pas facile de faire une définition. Je dirais que c’est être au courant de ce qu’il se passe autour de soi. Je crois qu’il y a toujours eu cette mauvaise conception qui dit que le féminisme est un combat de femmes. Selon moi, c’est être éveillé à ce qu’il se passe autour de soi et regarder plus loin que le bout de son nez. » – Manu, 25 ans.

Je crois qu’il y a toujours eu cette mauvaise conception qui dit que le féminisme est un combat de femmes.

« Je crois que le plus gros effort que j’essaie de faire, c’est d’écouter les femmes, en tout cas ma femme. C’est-à-dire essayer de me mettre à la place de ma femme, même si c’est parfois compliqué. C’est le premier effort à fournir, même si c’est un peu contradictoire avec le fait que ce soit moi qui sois en train d’en parler. Essayer de ne pas parler du féminisme mais laisser les femmes en parler avec une écoute attentive. Essayer de comprendre plutôt que d’essayer d’expliquer. Se mettre à la place plutôt que d’essayer de débattre pour avoir raison. Par exemple, il y a quelques années, ma femme parlait de charge mentale. Quand elle me définissait la charge mentale j’avais plutôt envie de lui dire: « moi aussi je fais telle tâche ». Comme si mon coté féministe, était réduit au fait de nettoyer la maison. Aujourd’hui, grâce à beaucoup de lectures, je ne me permets plus de remettre en cause la charge mentale. Plutôt que de débattre et de défendre ma masculinité et mon féminisme, j’écoute et j’essaie de me mettre à sa place. Je suis convaincu que ce n’est pas en faisant tourner des machines à laver qu’on peut être féministe. Je crois que le plus important c’est d’accepter, de pouvoir s’effacer et de comprendre. Relayer la parole des femmes plutôt que de dire ce qu’on pense du féminisme. J’étais déjà pour l’égalité des hommes et des femmes avant, et, depuis plusieurs années, je me renseigne, je lis, je discute beaucoup, pour savoir de quoi je parle et pour pouvoir avoir un discours le moins personnel et le moins masculin possible. » – Lionel, 40 ans.

« Un combat de tout le monde pour l’égalité »

« Je suis le papa d’une petite fille et le compagnon d’une femme féministe donc c’est un sujet de discussion qui revient souvent à table. Surtout ces dernières années, le mouvement devient de plus en plus médiatisé pour de tristes raisons comme l’affaire Weinstein. Aussi, je suis enseignant et une grande majorité de mes élèves sont des jeunes filles de différentes confessions religieuses. C’est un sujet que j’aime aborder lors de mes cours. Je pense que le féminisme est aussi important pour les hommes et les clichés sur la masculinité. Personnellement, je n’ai pas du tout l’impression d’être l’homme que l’on décrit dans les médias. Bien que ça évolue, je ne me suis jamais retrouvé dans la masculinité telle qu’on la définit et telle qu’on la voit dans les médias. Le féminisme amène une redéfinition de l’homme, de sa place, de son statut et de ce qu’il peut être. Il amène l’idée selon laquelle l’homme n’est pas obligatoirement le mâle insensible, qui aime regarder le foot en buvant de la bière. En combattant les clichés contre les femmes, on combat aussi les clichés contre les hommes. C’est le féminisme qui amène ça. » – Lionel, 40 ans.

« Je pense que comme pour tous les combats, c’est plus logique d’être tous ensemble, unis contre quelque chose qui bénéficie à tous, plutôt que de laisser les femmes dans leur merde. Ce n’est pas juste un combat des femmes pour les femmes, c’est un combat de tout le monde pour l’égalité. Malheureusement, j’ai l’impression qu’il y a une grosse partie des hommes qui ne se sent pas concernée. D’une part, j’ai l’impression que les gens sont plus sensibilisés maintenant, mais d’une autre, il y a encore une majorité d’hommes, au pouvoir et dans les positions décisionnaires, qui ne se sentent pas concernés. Il y a un plus grand pas à faire en avant qu’en arrière. » – Manu, 25 ans.

Ce n’est pas juste un combat des femmes pour les femmes, c’est un combat de tout le monde pour l’égalité.

« Aujourd’hui, de plus en plus de femmes arrivent à des postes importants, certes, mais ce n’est pas assez. Lorsque cela arrive, on réagit comme si c’était un évènement alors que cela devrait être normal. Si les hommes prenaient un peu plus conscience de ça, ça deviendrait la norme. Si les hommes ne se rendent pas compte qu’ils sont concernés alors on reste sur des positions archaïques avec des stéréotypes monstrueux. » – Robin, 26 ans.

« Ça commence par s’y intéresser »

« J’ai l’impression que le gros de ce que je fais, c’est faire attention à ce que je vois et ce que j’entends notamment au boulot. J’ai déjà entendu des remarques envers mes collègues femmes que je trouvais déplacées. Parfois, des clients n’écoutent pas ou n’acceptent pas les remarques de la même manière quand ça vient d’une femme. Du coup y prêter attention, le faire remarquer quand j’en ai l’occasion. Je ne pense pas être le plus grand des activistes pour les femmes ou pour quoique ce soit d’ailleurs. Le fait d’être éveillé à ça, d’en discuter avec mon entourage et de partager un maximum autour de ça, je pense que c’est un début. » – Manu, 25 ans.

« Prendre part à ce combat, ça commence par s’y intéresser. Sans faire de généralités, certains hommes se disent: « ça ne me concerne pas ». C’est peut-être la raison pour laquelle ça n’avance pas. On doit prendre part à ce combat et donc de quelle manière? S’informer, s’y intéresser, et parler lorsqu’il y a quelque chose qui ne va pas ou qui est discriminatoire envers les femmes. Ne pas hésiter à élever la voix dans tous les domaines quand on remarque une différence parce qu’elles existent encore énormément. » – Robin, 26 ans.

Le féminisme, une affaire de femmes

« Ce cliché a la vie dure. Quand on pense féminisme, on a tendance à penser Femen, femmes virulentes et seins à l’air. Je pense que le mot fait peur. J’ai vu une vidéo d’Emma Watson sur Konbini, dans laquelle elle doit choisir entre féminisme et humanisme. Elle répond qu’il n’y a pas à choisir car c’est la même chose. On veut le bonheur et le bien-être de tous les êtres humains peu importe leur sexe. Féminisme, c’est parce qu’il reste encore trop de discriminations envers les femmes. Pour moi féminisme et humanisme, c’est la même chose. Le but principal ce n’est pas que les femmes prennent le pas sur les hommes. Il faut rappeler cette définition à ceux qui sont contre et si le mot les dérange, tant pis. Ils restent sur cette image de feminazis qui veulent les écraser et les faire disparaitre alors qu’on parle d’égalité entre tous. C’est dommage. » – Robin, 26 ans.

« Le problème, du terme féminisme c’est qu’il laisse croire que c’est un problème de femmes. Hors si on définit le féminisme comme une lutte pour l’égalité des hommes et des femmes, il y a femmes et il y a hommes. Donc il ne faut pas être une femme ou un homme, c’est une égalité entre êtres humains. Qu’on soit un homme ou une femme, nous restons des êtres humains. Ce n’est pas un combat de femmes, c’est un combat pour l’égalité point. N’importe qui peut prendre part à ce combat. L’égalité entre tous, c’est l’affaire de tous. » – Lionel, 40 ans. 

« Si j’étais opprimé, je trouverais un moyen de me faire entendre »

« J’ai vu une jeune femme qui s’est vu refuser son entrée au Louvre car elle avait un décolleté trop plongeant. Elle s’est ensuite présentée au musée encore plus dénudée. J’ai adoré le contrecoup. Ce qui est parfois dommage dans des actes plus virulents voire violents, c’est que la forme prend le dessus sur le fond. On ne se concentre plus sur le message mais sur la forme qui parfois, passe très mal. Parfois, ça va trop loin et ça porte préjudice au message du féminisme. Je pense qu’il y a un ras-le-bol. On méprise clairement les femmes et rien ne change. Du coup, il y a cette envie de marquer les esprits qui, parfois conduit à de la violence et bascule dans l’extrême. Parfois, les gens restent calés sur: « les féministes, c’est les tarés qui se baladent à poil » alors que derrière c’est tout un mouvement, un combat qui est calme et nécessaire. » – Robin, 26 ans.

« J’ai l’impression que c’est pareil pour tout. Il y a toujours des parties plus extrêmes et une majorité silencieuse. Je pense qu’il faut des actions plus extrêmes sinon personne n’écoute, le combat passe sous silence et on l’oublie. Mais tous les actes de vandalisme et de provocation, je ne soutiens pas les actes mais je soutiens la cause qu’il y a derrière. Je comprends la réflexion et je ne vais pas la condamner parce que je trouve que c’est complètement logique. Si je me trouvais dans une position d’oppression, je trouverais certainement un moyen de me faire entendre également. » – Manu, 25 ans.

« Je ne dis jamais que je suis féministe »  

« Je crois que ce qui joue dans mon cas c’est le fait d’être gay. C’est un cliché, mais ça a toujours été comme ça. J’ai eu énormément d’amies filles autour de moi. Mes collègues, ma soeur, ma mère, et donc depuis tout petit j’ai côtoyé beaucoup de femmes, j’ai écouté leurs témoignages, leurs histoires. Elles ont toutes vécu des atteintes à leur dignité de manière physique, sexuelle ou psychologique. La plupart du temps par des hommes. Comme je suis avec elles, je veux que ça s’arrête et je n’hésite pas à porter leur voix. Je pense que certains hommes sont gênés de dire qu’ils sont féministes parce qu’ils seront vus comme des chochottes. Mais ça reste un cliché. Les hommes hétéros aiment garder une image virile. Je reviens à cette idée que le mot féminisme fait peur. Si un homme dit « je suis pour l’égalité entre les hommes et les femmes », ça ne pose pas de problème. Mais si il dit « je suis féministe », j’ai l’impression que la perception change: « regardez la petite chochotte, sors ta brassière brûle-la avec les femmes ». C’est quelque chose qui me touche et je n’ai jamais eu honte de le dire et de le défendre. » – Robin, 26 ans.

« Je ne dis jamais que je suis féministe. Ma femme le dit, mais moi je ne le dis jamais. En tant qu’homme, c’est difficile d’être aussi féministe qu’une femme. Tout simplement parce que nous n’en sommes pas une. J’ai lu cette phrase qui m’a interpellée: « on ne peut pas être féministe en tant qu’homme, on ne peut qu’être proféministe ». Je trouve que c’est vrai. Un homme ne peut pas être féministe mais être proféministe, tout simplement parce que être féministe ça implique notamment de savoir et de vivre le fait d’être une femme dans ce monde d’hommes, savoir ce que c’est que de souffrir du patriarcat. Et ça, un homme ne peut pas le comprendre selon moi. On peut se dire proféministe, on peut défendre l’égalité, mais se dire féministe c’est délicat. » – Lionel, 40 ans.

« Je n’ai aucun mal à dire que je suis féministe. Je ne vois pas le problème, je ne suis pas hyper activiste et je ne vais pas aller le crier sur tous les toits. Mais je n’ai aucun mal à dire que je me considère féministe et que je considère que c’est un combat extrêmement important dans notre société. » – Manu, 25 ans.


Alors, c’est possible d’être un homme féministe en 2020? C’est possible et même plus que ça, c’est nécessaire. 

C’est nécessaire aussi d’en parler et de partager autour de ça. Donner la parole à tout le monde, c’est primordial. Aux femmes, mais aux hommes aussi. Charge mentale, feminazi, masculinité et proféminisme, le sujet est vaste, mais tous se rejoignent sur un point: l’égalité de tous est l’affaire de tous

Merci pour votre honnêteté et votre temps. 

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